Association nationale des assistants de service social

Envoyer à un ami
Version imprimable
Partager

Affaire de pédophilie à Angers :


Les services sociaux ne doivent pas être les boucs émissaires d’un procès à sensation fortement médiatisé. Le procès qui s’est ouvert le 3 mars à Angers est susceptible de provoquer au fil des semaines de vives émotions, tant les faits décrits sont dramatiques et inhumains.



Affaire de pédophilie à Angers :
Les victimes sont des enfants âgés au moment des faits de 6 mois à 12 ans. La mise au jour d’un réseau de pédophilie a permis de mettre en place une protection et un accompagnement spécifique auprès de 45 enfants. Mais il est aussi possible que d’autres mineurs soient concernés.

Nous pensons d’abord aux enfants victimes des adultes. Il faudra du temps et un soutien sans faille après ce procès pour leur permettre de reconstruire leur identité. Mais nous tenons aussi à apporter notre soutien aux travailleurs sociaux qui ont eu à suivre les enfants et leurs familles et qui sont, nous le savons, très éprouvés de n’avoir pas eu connaissance de tels faits lorsqu’ils suivaient les situations. Ils vont encore être mis à l’épreuve, risquant d’être accusés au mieux d’incompétence et au pire de connivence, non par le tribunal, mais par ce que l’on appelle communément « l’opinion publique », soutenue en cela par certains médias. Il est donc nécessaire de tenter d’expliquer de façon simple des mécanismes parfois assez complexes.

Mais rappelons d’abord qu’en 2003, 89 000 enfants ont été signalés par les services sociaux départementaux en France. 52 000 situations ont été orientées vers le judiciaire alors que 37 000 familles ont fait l’objet, avec leur accord, d’une mesure administrative. Or, si l’on médiatise la découverte d’enfants maltraités et abusés, on ne médiatisera jamais des centaines voire de milliers d’enfants « sauvés » de l’emprise des maltraitances familiales. C’est pourquoi on ne peut pas dire que le dispositif de protection de l’enfance est totalement inadapté. Mais, bien évidemment, il est perfectible.

Pourquoi les travailleurs sociaux n’ont-ils pas vu ou pas pu déceler des faits aussi graves ?

Rappelons, tout d’abord, que des faits qui paraissent évidents une fois révélés peuvent être inimaginables lorsqu’ils sont encore cachés. Il est de plus parfois quasi-impossible de repérer une maltraitance : si aucun signe d’alerte n’est visible sur le corps, dans le comportement et dans les propos de l’enfant, on ne peut pas conclure à l’existence d’une maltraitance. En outre, certains auteurs d’abus disposent d’une capacité de manipulation extrêmement puissante. Ils peuvent non seulement tromper la vigilance des travailleurs sociaux mais aussi celle des policiers et des magistrats. Par ailleurs, une maltraitance peut en masquer une autre. Ainsi, à Angers, plusieurs informations pour carences éducatives ont été engagées par les professionnels mandatés pour intervenir auprès des enfants. Ces carences identifiées en cachaient d’autres bien plus graves encore puisqu’il s’agissait d’actes criminels à l’encontre des enfants. Enfin, la loi du silence au sein des familles est suffisamment forte pour qu’aucun enfant ou adolescent ne puisse parler pendant longtemps. Le non-dit et le déni sont aussi très puissants lorsqu’un des deux parents découvre que l’autre a eu une relation sexuelle avec son propre enfant. C’est un fait tellement insupportable que celle ou celui qui découvre subit un effet de sidération. Malgré les faits, le parent trahi a tendance à nier la réalité.

Pour toutes ces raisons, on comprendra que, malgré le travail des professionnels, ces faits aient pu rester pendant un temps véritablement invisibles pour les travailleurs sociaux.

Ces derniers et leurs institutions vont rendre compte du contenu de leurs interventions au cours de ce procès. Ils ont déjà été entendus lors de l’instruction. La justice a compris combien ces professionnels ont pu être manipulés et n’a engagé aucune poursuite à leur encontre. Voilà de quoi alimenter une vision manichéenne : n’y aurait-il pas collusion entre les pouvoirs en place pour ne pas tout dire ? Cette hypothèse alimentera sans nul doute les thèses de la défense, qui suit une stratégie clairement énoncée depuis plusieurs mois, fondée sur le fait que la plupart des auteurs étaient suivis par les services socio-judiciaires ou par des médecins et que la plupart des victimes faisaient l´objet de mesures d´assistance éducative.

Ainsi, ce procès pourrait devenir le procès des services sociaux au lieu de celui de la pédophilie et de l’inceste. Or ce qui est en cause aujourd’hui à Angers est bien, au-delà de la pédophilie et de l’inceste, l’exploitation sexuelle d’enfants. Ce sont des crimes commis, semble-t-il, dans le cadre de réseaux familiaux mais aussi extra familiaux, l’enquête n’est pas terminée. Rappelons là aussi une évidence : le dévoilement de tels crimes relève de l’investigation policière et non pas des services sociaux. Cela ne veut pas dire que les services sociaux s’en désintéressent et qu’ils n’agissent pas, mais plus simplement qu’ils n’ont pas la compétence ni la formation pour déceler des réseaux inscrits dans une logique criminelle qui, par définition, dissimulent leurs actions et font régner la loi du silence.

Les fonctions essentielles du service social au niveau individuel et territorial consistent en l’évaluation, le bilan diagnostic, le projet, l’accompagnement du projet et la mesure des effets. La pluridisciplinarité des formations (psychologie, sociologie, médecine, droit, économie, politiques sociales, croisement des législations) permet au service social d’approcher la complexité des situations. L’action éducative est d’un autre ressort. Comme son nom l’indique, il s’agit de compétences à mettre en œuvre pour l’éducation des enfants et des adolescents. Là aussi, les professionnels s’inscrivent dans une relation d’aide. Lorsqu’ils assurent une mission de contrôle, celui-ci a toujours pour finalité la protection de l’enfance ou l’aide à la personne ou au groupe familial.

Il reste nécessaire de rappeler que tous les citoyens (voisins, relations proches des enfants et des familles, collègues de travail ou de loisirs…) sont concernés par la protection de l’enfance, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’éviter des crimes. C’est pourquoi poser la seule question de la responsabilité des travailleurs sociaux - qui ont répondu de leurs actes au cours de l’instruction - est aussi une façon de « dédouaner » la responsabilité de tout un chacun. D’ailleurs, quand tout va mal, n’entendons-nous pas communément dire : « Mais que font les services sociaux ? ».

Le service social ne règlera pas à lui tout seul les problèmes sociaux, c’est évident. La liste est longue et les missions sont immenses : protection de l’enfance, droit des familles, gestion des aides extralégales, accès aux droits sociaux, lutte contre l’exclusion, RMI, logement, insertion professionnelle, accueil des victimes, gestion des dispositifs et, demain, prévention de la délinquance... La coupe est pleine, tant il y a à faire. C’est pourquoi il ne faudrait pas qu’au final les travailleurs sociaux deviennent les boucs émissaires de tous les dysfonctionnements de la société, d’autant que, dans la très grande majorité des situations, les professionnels font leur travail avec rigueur et sans relâche.

Si le service social s’inscrit dans la logique d’aide et de promotion de la population, le risque est grand de vouloir diriger son action vers une logique de contrôle, voire de « police » des familles. Ce serait là une orientation particulièrement néfaste pour la population la plus fragile, qui a plus besoin d’être soutenue que d’être surveillée. De plus, la pédophilie , l’inceste et les abus sexuels ne sont pas l’apanage d’une seule catégorie de population. Comme pour la violence à l’encontre des femmes, tous les milieux sociaux sont concernés.

L’affaire d’Angers doit provoquer une réflexion des professionnels et de leurs institutions sur leurs organisations et le suivi des mesures de protection. Il faut aussi pouvoir s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour que de tels faits puissent être détectés et ne puissent se reproduire. D’ailleurs, les services du conseil général du Maine-et-Loire ont pris, depuis la révélation de cette affaire, des moyens conséquents et qui nous semblent adaptés. Pour autant, il faut aussi comprendre qu’il ne sera jamais possible de prévoir et d’empêcher toutes les situations de maltraitance en France, et notamment celles qui concernent les abus sexuels. Tout au plus pourra-t-on les limiter et en réduire le nombre de façon conséquente. Mais, pour cela, il faudra d’autres moyens que ceux qui nous sont actuellement dévolus. »

Didier Dubasque
Président de l’ANAS : 15, rue de Bruxelles - 75009 Paris - Tél. 01 45 26 33 79 - E-mail : anas@travail-social.com


Jeudi 17 Mars 2005




Notez

L'essentiel | Actualités | L'ANAS et vous | La Revue | JNE / JET | Outils de travail | Archives | Nos ouvrages | Foire aux questions