Dans le cadre des débats, les élus ont fait plusieurs remarques critiques dont une que nous avons, avec la quasi-totalité des professionnels de l’enfance en difficulté, affirmé : celle de l’inefficacité et de l’injustice de cette mesure.(voir les débats de la commission sur http://www.senat.fr/rap/a05-214/a05-2145.html]
Le texte qui a été voté a donc été enrichi et le Contrat de Responsabilité Parentale n’est plus l’outil unique prévu dans le projet initial. Ainsi, dans son article 24 :http://www.assemblee-nationale.fr/12/ta/ta0548.asp, le texte prévoit :
« Art. L. 222-4-1. - En cas d'absentéisme scolaire, tel que défini à l'article L. 131-8 du code de l'éducation, de trouble porté au fonctionnement d'un établissement scolaire ou de toute autre difficulté liée à une carence de l'autorité parentale, le président du conseil général, de sa propre initiative ou sur saisine de l'inspecteur d'académie, du chef d'établissement d'enseignement, du maire de la commune de résidence du mineur, du directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales ou du préfet, propose aux parents ou au représentant légal du mineur un contrat de responsabilité parentale ou prend toute autre mesure d'aide sociale à l'enfance adaptée à la situation. Ce contrat rappelle les obligations des titulaires de l'autorité parentale et comporte toute mesure d'aide et d'action sociales de nature à remédier à la situation. Son contenu, sa durée et les modalités selon lesquelles il est procédé à la saisine du président du conseil général et à la conclusion du contrat sont fixés par décret en Conseil d'État. Ce décret fixe aussi les conditions dans lesquelles les autorités de saisine sont informées par le président du conseil général de la conclusion d'un contrat de responsabilité parentale et de sa mise en œuvre.
« Lorsqu'il constate que les obligations incombant aux parents ou au représentant légal du mineur n'ont pas été respectées ou lorsque, sans motif légitime, le contrat n'a pu être signé de leur fait, le président du conseil général peut :
« 1° Demander au directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales la suspension du versement de tout ou partie des prestations afférentes à l'enfant, en application de l'article L. 552-3 du code de la sécurité sociale ;
« 2° Saisir le procureur de la République de faits susceptibles de constituer une infraction pénale ;
« 3° Saisir l'autorité judiciaire pour qu'il soit fait application, s'il y a lieu, des dispositions de l'article L. 552-6 du code de la sécurité sociale. »
L’ouverture à d’autres possibilités d’aides apparaît comme essentiel : il replace le travailleurs social dans sa compétence d’évaluation et ne l’oblige plus à mettre en œuvre le CRP. De fait, le CRP n’étant pas un outil d’aide mais de coercition, les travailleurs sociaux pourront le laisser là où il devrait rester : dans le placard des mauvaises idées !
Néanmoins, nous maintenons notre volonté de demander à tous les présidents des Conseils Généraux de prendre une position demandant à leur administration de ne jamais utiliser le CRP. Lorsque cela ne sera pas le cas, nous appelons les professionnels à en refuser l’utilisation, ce qui est dorénavant de leur responsabilité.
L’ANAS sera aux côtés de tous ceux qui se positionneront en ce sens.
15 mars 2006
Le Bureau
Communiqué ANAS du 15 janvier 2006 :
Le « Contrat de Responsabilité Parentale » : un pseudo-contrat contre le travail social ?
« Car la façon dont est pratiqué le travail social, la façon d’être des travailleurs sociaux avec les usagers peut être porteuse d’espoir et de croissance ou au contraire de contrôle et de vexations. » (Cristina De Robertis, Le contrat en travail social, Ed. Dunod, 1993)
« La façon dont nous nous approchons des êtres humains en difficulté rend nos programmes de service social utiles ou détestables. On peut donner un secours d’une façon punitive et humiliante, et on peut également le faire d’une façon qui ne viole pas le respect que la personne en détresse doit conserver pour elle-même. » (Konopka Gisèle citée par C. De Robertis.)
Suite aux violences constatées à travers de nombreux quartiers de France en novembre 2005, le gouvernement a préparé un projet de loi dit « pour l’égalité des chances ». Celui-ci a été présenté en Conseil des ministres le mercredi 11 janvier 2006. Une des propositions vise à ce que soit créé un « Contrat de Responsabilité Parentale »
Ce « contrat » vient formaliser une vieille idée, celle de la suspension des prestations familiales aux familles « non-méritantes », et place les professionnels des services éducatifs et sociaux des Départements dans une position qui change jusqu’à la nature de leur intervention. La contrainte et la sanction deviendraient des parties intrinsèques de l’action des travailleurs sociaux, modifiant la relation et l’objet de l’intervention de ces professionnels auprès des usagers.
C’est pourquoi nous reprendrons ici l’essentiel du projet de loi et nous verrons ce qu’il modifierait en cas d’adoption par le législateur. Nous préciserons ensuite :
- ce qu’est un « contrat » en travail social,
- le contexte dans lequel il se conclue,
- ses apports,
- ce qu’il nécessite : le temps pour que se noue la relation de confiance, le contrat comme résultat d’une négociation, l’évaluation de son résultat à travers une confrontation libre.
- Les limites à l’efficacité de la contractualisation.
Enfin, nous terminerons en rappelant les possibilités existantes et qu’il convient d’utiliser pour soutenir les familles en difficultés éducatives.
Ce que dit le projet de loi
Dans son Titre III intitulé « MESURES D’AIDE A L’EXERCICE DE L’AUTORITE PARENTALE – CREATION DU CONTRAT DE RESPONSABILITE PARENTALE », l’article 22 prévoit la création d’un article L.222-4-1 du code de l’action sociale et des familles ainsi rédigé :
« En cas d’absentéisme scolaire, tel que défini à l’article L.131-8 du code de l’éducation, de trouble porté au fonctionnement d’un établissement scolaire ou de toute autre difficulté liée à une carence de l’autorité parentale, le président du conseil général, de sa propre initiative ou sur saisine du chef d’établissement, du maire de la commune de résidence du mineur, du directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales ou du préfet, propose aux parents ou au représentant légal du mineur un contrat de responsabilité parentale en vue de remédier à la situation. Le contenu, la durée et les modalités de conclusion du contrat de responsabilité parentale sont fixés par décret en Conseil d’Etat.
« Lorsqu’il constate que les obligations du contrat de responsabilité parentale incombant aux parents ou au représentant légal du mineur n’ont pas été respectées ou lorsque, sans motif légitime, un tel contrat n’a pu être signé de leur fait, le président du conseil général peut :
« 1° Demander au directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales la suspension du versement de tout ou partie des prestations afférentes à l’enfant, en application de l’article L.552-3 du code de la sécurité sociale ;
« 2° Saisir l’autorité judiciaire d’une demande tendant à l’application d’une contravention définie par décret en Conseil d’Etat ;
« 3° Saisir l’autorité judiciaire pour qu’il soit fait application des dispositions de l’article L.552-6 du code de la sécurité sociale. »
L’article 23 du projet de loi précise qu’« Un décret en Conseil d’Etat fixe la durée maximale de cette suspension ainsi que la périodicité maximale selon laquelle la situation de la famille dont les prestations familiales ont été suspendues est réexaminée par le président du conseil général. Lorsqu’il apparaît que les parents ou le représentant légal du mineur se conforment aux obligations qui leur étaient imposées en application du contrat de responsabilité parentale, le versement des prestations sociales dues est rétabli rétroactivement à la date de la suspension. »
Ainsi, les prestations suspendues seraient récupérées par les familles lorsqu’elles se seront conformées « aux obligations qui leur étaient imposées en application du contrat de responsabilité parentale ».
Ce qui est modifié par ce contrat
Le CRP apporte l’injonction et la contrainte dans le champ du travail social, confiant la décision à une autorité administrative non investie d’un pouvoir judiciaire, celui qui dit la loi et la sanction s’il y a transgression.
Injonction et contrainte ne sont pas des outils absents du cadre d’intervention des travailleurs sociaux. L’aide sous contrainte sur injonction de justice existe. Elle permet une pratique de travail social car c’est un cadre posé par une instance tierce (la justice) qui laisse au travail social la possibilité d’aide qui est sa finalité. Avec le CRP, le travailleur social devient « juge et partie » : il va pouvoir imposer une mesure et en contrôler l’évolution.
Ce contrat modifie aussi la nature des prestations familiales. Jusqu’alors, elles avaient pour fonction de soutenir les familles afin qu’elles disposent de moyens minimum pour le développement de leurs enfants. Avec ce contrat, elles deviennent une « prime au mérite » et leur versement est soumis non plus aux ressources de la famille mais au comportement de l’enfant.
Sur ce comportement, il apparaît que celui-ci relève de la seule et complète responsabilité des parents. Or, les travaux en psychologie du développement montrent que l’évolution d’un enfant dépend de facteurs multiples : éducatifs, matériels, structure familiale, rang de naissance, environnement, conditions de logement, etc. De plus, sur des questions telles que l’absentéisme ou l’échec scolaire, la question de la politique d’accueil des établissements est un des paramètres qui favorisent ou pas la fréquentation de l’établissement. Au-delà de l’établissement, les causes des difficultés liées à la fréquentation ou au comportement sont multi-factorielles.
Dans ce projet, seuls sont considérés comme responsables de la situation les parents et l’enfant. Contraire aux savoirs actuels, ce postulat est surtout idéologique.
Ce projet est de plus porteur de risques majeurs de crises au sein des familles. L’enfant « incriminé » deviendrait le responsable de la perte des prestations, générant ou renforçant des difficultés ou tensions relationnelles entre parent(s) et enfant(s). Un effet de double-stigmatisation apparaît : celui de l’enfant dans le regard de ses parents, celui des parents dans le regard de l’enfant. Des parents à ce point disqualifiés ne seraient plus vraiment des acteurs de leur vie. Le CRP pourrait ainsi apporter plus de problèmes que de solutions.
Enfin, ce contrat élimine de fait le service social scolaire. A aucun moment ce service n’est mentionné et aucun rôle ne lui est attribué. C’est totalement méconnaître les missions et la fonction de ce service essentiel. Dans ses missions, celle concernant la prévention de l’échec scolaire pourrait être renforcée. Le manque chronique de moyens donnés à ce service depuis des années est éludé par le recours au CRP.
Le renvoi vers les services sociaux départementaux apparaît du même ordre : donner un outil à moindre coût. Là ou des outils efficaces existent dans l’accompagnement des familles (voir ci-dessous), cette logique de résultat sous contrainte dans un délai court semble répondre d’abord à la crise de financement que connaissent les Départements : leur confier une nouvelle tâche mais sans aucun moyen supplémentaire.
Enfin, pour les professionnels des services sociaux départementaux, le manque de travail en amont et en partenariat qui peut se faire avec le service social scolaire est un moyen de moins au service des familles et de la société.
Il convient donc de repréciser ce qu’est un contrat en travail social.
Ce qu’est un contrat en travail social (1)
Les principes éthiques sur lesquels est construit un contrat :
- La participation active des intéressés
- Leur autodétermination, c’est à dire le choix libre et éclairé
- La reconnaissance des usagers en tant que sujets (et pas objets), en tant que membres à part entière d’une société et citoyens porteurs de droits.
Le contrat « ne peut être isolé ni établi hors du contexte de la relation d’aide (…). Sans confiance, sans accord, point de contrat et aussi point de relation d’aide. L’aide forcée ou imposée est perçue par le client comme une intrusion, comme une humiliation, elle devient alors totalement inefficace. » (2)
Ce qu’apporte le contrat
Il apporte une direction commune dès lors que les objectifs ont été co-choisis.
Il apporte la reconnaissance du client comme partenaire et adulte capable.
IL établit la relation sur des bases explicites et la clarifie.
Il permet une évaluation commune des résultats.
Encore faut-il du temps pour que se noue la relation de confiance. L’établissement d’un contrat ne peut survenir qu’après que celle-ci soit créée. C’est sur la durée, plus ou moins courte selon les personnes et professionnels, que peut émerger cette qualité de relation. De plus, le temps permet de dépasser l’expression de réponses et demandes stéréotypées, pré-existantes à l’entretien, forgées sur les représentations nourries par les expériences et témoignages antérieurs.
Un contrat est le résultat d’une négociation et son évaluation est une confrontation libre
La négociation confronte un client en situation d’acteur et de maître d’œuvre, et un travailleur social engagé et intéressé. Il n’y a pas égalité des deux mais deux positions qui permettent qu’apparaissent des voies nouvelles. Quant à l’évaluation du résultat, elle est la mesure du parcours effectué par rapport aux objectifs définis en commun. Le client comme le travailleur social disent librement leur évaluation. Les deux paroles ont la même importance et jouissent de la même considération.
Les outils à la disposition de l’assistant de service social
Un contrat est un acte qui ne peut se substituer à une autre action, qu’elle soit contractualisée ou non. Aujourd’hui, plusieurs réponses administratives ou judiciaires aux difficultés éducatives existent : Intervention d’une Technicienne de l’Intervention Social et Familiale, Action Educative à Domicile, Action Educative Renforcée à Domicile, Action Educative en Milieu Ouvert, Tutelle aux Prestations Sociales…
Tous favorisent un véritable travail d’accompagnement, faisant des parents des personnes reconnues dans leur responsabilité et soutenus dans leurs difficultés. Le « Contrat de Responsabilité Parentale » est l’antithèse de ces accompagnements.
Pour conclure
Le constat est clair : le CRP n’a rien à voir avec une solution aux problèmes auxquels il est censé répondre. Le choix de cette « nouveauté » apparaît comme justifié plus par une volonté de répondre à une pensée sécuritaire où chaque acte est isolé de nombre des éléments qui le provoquent, où chaque situation n’est considérée qu’à travers la transgression qui en est l’aboutissement, où la responsabilité entière est portée par la personne quel que soit son âge.
A partir des ces éléments, l’ANAS engage trois formes d’actions :
- En cas d’adoption du projet en l’état, nous écrirons à chaque président de Conseil Général en lui donnant les éléments de notre analyse et en lui demandant de refuser l’application d’un tel outil. La décision de suspension des prestations familiales n’est dans le texte actuel qu’une possibilité donnée au Président du Conseil Général.
- L’article 22 du Code de déontologie des assistants de service social précise : « L'Assistant de Service Social assume la responsabilité du choix et de l'application des techniques intéressant ses relations professionnelles avec les personnes. Il fait connaître à l'employeur les conditions et les moyens indispensables à l'intervention sociale qui lui est confiée. De même, il se doit de signaler tout ce qui y fait entrave. De ce fait, il ne peut être tenu pour responsable des conséquences d'une insuffisance de moyens ou d'un défaut d'organisation du service qui l'emploie. » En tant que professionnels, Les assistant(e)s de service social sont techniquement responsables des actes professionnels qu'ils posent à l'égard des usagers.
- Rappelons les termes mêmes de la définition de la profession définie dans l'annexe de l'arrêté du 29 juin 2004 signée par Mme Olin alors ministre déléguée à la lutte contre la précarité et l’exclusion :
« Dans le cadre des missions qui lui sont confiées, l’assistant de service social accomplit des actes professionnels engageant sa responsabilité par ses choix et ses prises de décision qui tiennent compte de la loi et des politiques sociales, de l’intérêt des usagers, de la profession et de ses repères pratiques et théoriques construits au fil de l’histoire, de lui même en tant qu’individu et citoyen. ».
Une loi ne peut donc à elle seule définir les conduites des professionnels à l'égard des usagers d'autant plus qu'elle nie une fonction essentielle du travail engagée auprès d'eux puisqu'il s'agit selon cette même définition de « créer les conditions pour que les personnes, les familles et les groupes avec lesquels [l'assistant social ] travaille, aient les moyens d’être acteurs de leur développement et de renforcer les liens sociaux et les solidarités dans leurs lieux de vie. »
Une suspension des allocations familiales ne permet manifestement pas de créer les conditions apportant des moyens aux familles d'être acteurs de leur développement.
C'est pourquoi si le Contrat de Responsabilité Parentale est mis en place dans des Départements, nous appellerons les travailleurs sociaux à refuser de le mettre en œuvre tant qu'un volet répressif et de sanction à l'égard des familles restera prévu dans les textes.
Le 15 janvier 2006
Laurent Puech
(1) Les principes ici posés sont largement inspirés de l’ouvrage collectif Le contrat en travail social (Ed. Dunod, 1993) écrit sous la direction de Cristina De Robertis.
(2) De Robertis et al., page 59.
Le texte qui a été voté a donc été enrichi et le Contrat de Responsabilité Parentale n’est plus l’outil unique prévu dans le projet initial. Ainsi, dans son article 24 :http://www.assemblee-nationale.fr/12/ta/ta0548.asp, le texte prévoit :
« Art. L. 222-4-1. - En cas d'absentéisme scolaire, tel que défini à l'article L. 131-8 du code de l'éducation, de trouble porté au fonctionnement d'un établissement scolaire ou de toute autre difficulté liée à une carence de l'autorité parentale, le président du conseil général, de sa propre initiative ou sur saisine de l'inspecteur d'académie, du chef d'établissement d'enseignement, du maire de la commune de résidence du mineur, du directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales ou du préfet, propose aux parents ou au représentant légal du mineur un contrat de responsabilité parentale ou prend toute autre mesure d'aide sociale à l'enfance adaptée à la situation. Ce contrat rappelle les obligations des titulaires de l'autorité parentale et comporte toute mesure d'aide et d'action sociales de nature à remédier à la situation. Son contenu, sa durée et les modalités selon lesquelles il est procédé à la saisine du président du conseil général et à la conclusion du contrat sont fixés par décret en Conseil d'État. Ce décret fixe aussi les conditions dans lesquelles les autorités de saisine sont informées par le président du conseil général de la conclusion d'un contrat de responsabilité parentale et de sa mise en œuvre.
« Lorsqu'il constate que les obligations incombant aux parents ou au représentant légal du mineur n'ont pas été respectées ou lorsque, sans motif légitime, le contrat n'a pu être signé de leur fait, le président du conseil général peut :
« 1° Demander au directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales la suspension du versement de tout ou partie des prestations afférentes à l'enfant, en application de l'article L. 552-3 du code de la sécurité sociale ;
« 2° Saisir le procureur de la République de faits susceptibles de constituer une infraction pénale ;
« 3° Saisir l'autorité judiciaire pour qu'il soit fait application, s'il y a lieu, des dispositions de l'article L. 552-6 du code de la sécurité sociale. »
L’ouverture à d’autres possibilités d’aides apparaît comme essentiel : il replace le travailleurs social dans sa compétence d’évaluation et ne l’oblige plus à mettre en œuvre le CRP. De fait, le CRP n’étant pas un outil d’aide mais de coercition, les travailleurs sociaux pourront le laisser là où il devrait rester : dans le placard des mauvaises idées !
Néanmoins, nous maintenons notre volonté de demander à tous les présidents des Conseils Généraux de prendre une position demandant à leur administration de ne jamais utiliser le CRP. Lorsque cela ne sera pas le cas, nous appelons les professionnels à en refuser l’utilisation, ce qui est dorénavant de leur responsabilité.
L’ANAS sera aux côtés de tous ceux qui se positionneront en ce sens.
15 mars 2006
Le Bureau
Communiqué ANAS du 15 janvier 2006 :
Le « Contrat de Responsabilité Parentale » : un pseudo-contrat contre le travail social ?
« Car la façon dont est pratiqué le travail social, la façon d’être des travailleurs sociaux avec les usagers peut être porteuse d’espoir et de croissance ou au contraire de contrôle et de vexations. » (Cristina De Robertis, Le contrat en travail social, Ed. Dunod, 1993)
« La façon dont nous nous approchons des êtres humains en difficulté rend nos programmes de service social utiles ou détestables. On peut donner un secours d’une façon punitive et humiliante, et on peut également le faire d’une façon qui ne viole pas le respect que la personne en détresse doit conserver pour elle-même. » (Konopka Gisèle citée par C. De Robertis.)
Suite aux violences constatées à travers de nombreux quartiers de France en novembre 2005, le gouvernement a préparé un projet de loi dit « pour l’égalité des chances ». Celui-ci a été présenté en Conseil des ministres le mercredi 11 janvier 2006. Une des propositions vise à ce que soit créé un « Contrat de Responsabilité Parentale »
Ce « contrat » vient formaliser une vieille idée, celle de la suspension des prestations familiales aux familles « non-méritantes », et place les professionnels des services éducatifs et sociaux des Départements dans une position qui change jusqu’à la nature de leur intervention. La contrainte et la sanction deviendraient des parties intrinsèques de l’action des travailleurs sociaux, modifiant la relation et l’objet de l’intervention de ces professionnels auprès des usagers.
C’est pourquoi nous reprendrons ici l’essentiel du projet de loi et nous verrons ce qu’il modifierait en cas d’adoption par le législateur. Nous préciserons ensuite :
- ce qu’est un « contrat » en travail social,
- le contexte dans lequel il se conclue,
- ses apports,
- ce qu’il nécessite : le temps pour que se noue la relation de confiance, le contrat comme résultat d’une négociation, l’évaluation de son résultat à travers une confrontation libre.
- Les limites à l’efficacité de la contractualisation.
Enfin, nous terminerons en rappelant les possibilités existantes et qu’il convient d’utiliser pour soutenir les familles en difficultés éducatives.
Ce que dit le projet de loi
Dans son Titre III intitulé « MESURES D’AIDE A L’EXERCICE DE L’AUTORITE PARENTALE – CREATION DU CONTRAT DE RESPONSABILITE PARENTALE », l’article 22 prévoit la création d’un article L.222-4-1 du code de l’action sociale et des familles ainsi rédigé :
« En cas d’absentéisme scolaire, tel que défini à l’article L.131-8 du code de l’éducation, de trouble porté au fonctionnement d’un établissement scolaire ou de toute autre difficulté liée à une carence de l’autorité parentale, le président du conseil général, de sa propre initiative ou sur saisine du chef d’établissement, du maire de la commune de résidence du mineur, du directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales ou du préfet, propose aux parents ou au représentant légal du mineur un contrat de responsabilité parentale en vue de remédier à la situation. Le contenu, la durée et les modalités de conclusion du contrat de responsabilité parentale sont fixés par décret en Conseil d’Etat.
« Lorsqu’il constate que les obligations du contrat de responsabilité parentale incombant aux parents ou au représentant légal du mineur n’ont pas été respectées ou lorsque, sans motif légitime, un tel contrat n’a pu être signé de leur fait, le président du conseil général peut :
« 1° Demander au directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales la suspension du versement de tout ou partie des prestations afférentes à l’enfant, en application de l’article L.552-3 du code de la sécurité sociale ;
« 2° Saisir l’autorité judiciaire d’une demande tendant à l’application d’une contravention définie par décret en Conseil d’Etat ;
« 3° Saisir l’autorité judiciaire pour qu’il soit fait application des dispositions de l’article L.552-6 du code de la sécurité sociale. »
L’article 23 du projet de loi précise qu’« Un décret en Conseil d’Etat fixe la durée maximale de cette suspension ainsi que la périodicité maximale selon laquelle la situation de la famille dont les prestations familiales ont été suspendues est réexaminée par le président du conseil général. Lorsqu’il apparaît que les parents ou le représentant légal du mineur se conforment aux obligations qui leur étaient imposées en application du contrat de responsabilité parentale, le versement des prestations sociales dues est rétabli rétroactivement à la date de la suspension. »
Ainsi, les prestations suspendues seraient récupérées par les familles lorsqu’elles se seront conformées « aux obligations qui leur étaient imposées en application du contrat de responsabilité parentale ».
Ce qui est modifié par ce contrat
Le CRP apporte l’injonction et la contrainte dans le champ du travail social, confiant la décision à une autorité administrative non investie d’un pouvoir judiciaire, celui qui dit la loi et la sanction s’il y a transgression.
Injonction et contrainte ne sont pas des outils absents du cadre d’intervention des travailleurs sociaux. L’aide sous contrainte sur injonction de justice existe. Elle permet une pratique de travail social car c’est un cadre posé par une instance tierce (la justice) qui laisse au travail social la possibilité d’aide qui est sa finalité. Avec le CRP, le travailleur social devient « juge et partie » : il va pouvoir imposer une mesure et en contrôler l’évolution.
Ce contrat modifie aussi la nature des prestations familiales. Jusqu’alors, elles avaient pour fonction de soutenir les familles afin qu’elles disposent de moyens minimum pour le développement de leurs enfants. Avec ce contrat, elles deviennent une « prime au mérite » et leur versement est soumis non plus aux ressources de la famille mais au comportement de l’enfant.
Sur ce comportement, il apparaît que celui-ci relève de la seule et complète responsabilité des parents. Or, les travaux en psychologie du développement montrent que l’évolution d’un enfant dépend de facteurs multiples : éducatifs, matériels, structure familiale, rang de naissance, environnement, conditions de logement, etc. De plus, sur des questions telles que l’absentéisme ou l’échec scolaire, la question de la politique d’accueil des établissements est un des paramètres qui favorisent ou pas la fréquentation de l’établissement. Au-delà de l’établissement, les causes des difficultés liées à la fréquentation ou au comportement sont multi-factorielles.
Dans ce projet, seuls sont considérés comme responsables de la situation les parents et l’enfant. Contraire aux savoirs actuels, ce postulat est surtout idéologique.
Ce projet est de plus porteur de risques majeurs de crises au sein des familles. L’enfant « incriminé » deviendrait le responsable de la perte des prestations, générant ou renforçant des difficultés ou tensions relationnelles entre parent(s) et enfant(s). Un effet de double-stigmatisation apparaît : celui de l’enfant dans le regard de ses parents, celui des parents dans le regard de l’enfant. Des parents à ce point disqualifiés ne seraient plus vraiment des acteurs de leur vie. Le CRP pourrait ainsi apporter plus de problèmes que de solutions.
Enfin, ce contrat élimine de fait le service social scolaire. A aucun moment ce service n’est mentionné et aucun rôle ne lui est attribué. C’est totalement méconnaître les missions et la fonction de ce service essentiel. Dans ses missions, celle concernant la prévention de l’échec scolaire pourrait être renforcée. Le manque chronique de moyens donnés à ce service depuis des années est éludé par le recours au CRP.
Le renvoi vers les services sociaux départementaux apparaît du même ordre : donner un outil à moindre coût. Là ou des outils efficaces existent dans l’accompagnement des familles (voir ci-dessous), cette logique de résultat sous contrainte dans un délai court semble répondre d’abord à la crise de financement que connaissent les Départements : leur confier une nouvelle tâche mais sans aucun moyen supplémentaire.
Enfin, pour les professionnels des services sociaux départementaux, le manque de travail en amont et en partenariat qui peut se faire avec le service social scolaire est un moyen de moins au service des familles et de la société.
Il convient donc de repréciser ce qu’est un contrat en travail social.
Ce qu’est un contrat en travail social (1)
Les principes éthiques sur lesquels est construit un contrat :
- La participation active des intéressés
- Leur autodétermination, c’est à dire le choix libre et éclairé
- La reconnaissance des usagers en tant que sujets (et pas objets), en tant que membres à part entière d’une société et citoyens porteurs de droits.
Le contrat « ne peut être isolé ni établi hors du contexte de la relation d’aide (…). Sans confiance, sans accord, point de contrat et aussi point de relation d’aide. L’aide forcée ou imposée est perçue par le client comme une intrusion, comme une humiliation, elle devient alors totalement inefficace. » (2)
Ce qu’apporte le contrat
Il apporte une direction commune dès lors que les objectifs ont été co-choisis.
Il apporte la reconnaissance du client comme partenaire et adulte capable.
IL établit la relation sur des bases explicites et la clarifie.
Il permet une évaluation commune des résultats.
Encore faut-il du temps pour que se noue la relation de confiance. L’établissement d’un contrat ne peut survenir qu’après que celle-ci soit créée. C’est sur la durée, plus ou moins courte selon les personnes et professionnels, que peut émerger cette qualité de relation. De plus, le temps permet de dépasser l’expression de réponses et demandes stéréotypées, pré-existantes à l’entretien, forgées sur les représentations nourries par les expériences et témoignages antérieurs.
Un contrat est le résultat d’une négociation et son évaluation est une confrontation libre
La négociation confronte un client en situation d’acteur et de maître d’œuvre, et un travailleur social engagé et intéressé. Il n’y a pas égalité des deux mais deux positions qui permettent qu’apparaissent des voies nouvelles. Quant à l’évaluation du résultat, elle est la mesure du parcours effectué par rapport aux objectifs définis en commun. Le client comme le travailleur social disent librement leur évaluation. Les deux paroles ont la même importance et jouissent de la même considération.
Les outils à la disposition de l’assistant de service social
Un contrat est un acte qui ne peut se substituer à une autre action, qu’elle soit contractualisée ou non. Aujourd’hui, plusieurs réponses administratives ou judiciaires aux difficultés éducatives existent : Intervention d’une Technicienne de l’Intervention Social et Familiale, Action Educative à Domicile, Action Educative Renforcée à Domicile, Action Educative en Milieu Ouvert, Tutelle aux Prestations Sociales…
Tous favorisent un véritable travail d’accompagnement, faisant des parents des personnes reconnues dans leur responsabilité et soutenus dans leurs difficultés. Le « Contrat de Responsabilité Parentale » est l’antithèse de ces accompagnements.
Pour conclure
Le constat est clair : le CRP n’a rien à voir avec une solution aux problèmes auxquels il est censé répondre. Le choix de cette « nouveauté » apparaît comme justifié plus par une volonté de répondre à une pensée sécuritaire où chaque acte est isolé de nombre des éléments qui le provoquent, où chaque situation n’est considérée qu’à travers la transgression qui en est l’aboutissement, où la responsabilité entière est portée par la personne quel que soit son âge.
A partir des ces éléments, l’ANAS engage trois formes d’actions :
- En cas d’adoption du projet en l’état, nous écrirons à chaque président de Conseil Général en lui donnant les éléments de notre analyse et en lui demandant de refuser l’application d’un tel outil. La décision de suspension des prestations familiales n’est dans le texte actuel qu’une possibilité donnée au Président du Conseil Général.
- L’article 22 du Code de déontologie des assistants de service social précise : « L'Assistant de Service Social assume la responsabilité du choix et de l'application des techniques intéressant ses relations professionnelles avec les personnes. Il fait connaître à l'employeur les conditions et les moyens indispensables à l'intervention sociale qui lui est confiée. De même, il se doit de signaler tout ce qui y fait entrave. De ce fait, il ne peut être tenu pour responsable des conséquences d'une insuffisance de moyens ou d'un défaut d'organisation du service qui l'emploie. » En tant que professionnels, Les assistant(e)s de service social sont techniquement responsables des actes professionnels qu'ils posent à l'égard des usagers.
- Rappelons les termes mêmes de la définition de la profession définie dans l'annexe de l'arrêté du 29 juin 2004 signée par Mme Olin alors ministre déléguée à la lutte contre la précarité et l’exclusion :
« Dans le cadre des missions qui lui sont confiées, l’assistant de service social accomplit des actes professionnels engageant sa responsabilité par ses choix et ses prises de décision qui tiennent compte de la loi et des politiques sociales, de l’intérêt des usagers, de la profession et de ses repères pratiques et théoriques construits au fil de l’histoire, de lui même en tant qu’individu et citoyen. ».
Une loi ne peut donc à elle seule définir les conduites des professionnels à l'égard des usagers d'autant plus qu'elle nie une fonction essentielle du travail engagée auprès d'eux puisqu'il s'agit selon cette même définition de « créer les conditions pour que les personnes, les familles et les groupes avec lesquels [l'assistant social ] travaille, aient les moyens d’être acteurs de leur développement et de renforcer les liens sociaux et les solidarités dans leurs lieux de vie. »
Une suspension des allocations familiales ne permet manifestement pas de créer les conditions apportant des moyens aux familles d'être acteurs de leur développement.
C'est pourquoi si le Contrat de Responsabilité Parentale est mis en place dans des Départements, nous appellerons les travailleurs sociaux à refuser de le mettre en œuvre tant qu'un volet répressif et de sanction à l'égard des familles restera prévu dans les textes.
Le 15 janvier 2006
Laurent Puech
(1) Les principes ici posés sont largement inspirés de l’ouvrage collectif Le contrat en travail social (Ed. Dunod, 1993) écrit sous la direction de Cristina De Robertis.
(2) De Robertis et al., page 59.