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La loi n° 86-17 du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétence en matière d’aide sociale et de santé a confié les missions de l’Aide Sociale à l’Enfance aux Départements. Parmi les aides possibles, l’aide financière directe est paradoxalement souvent utilisé mais aussi méconnue. Chaque conseil général a en effet organisé les modalités d’exercice de ses missions, et cela génère des particularités d’un département à un autre, voire à l’intérieur d’un même département où peuvent exister des pratiques différentes. Mais les dispositifs départementaux ne sont que la mise en pratique d’un cadre légal, et l’écart entre la loi et les pratiques peut être grand. Il nous faut donc sans cesse remonter à la loi pour considérer les positions institutionnelles.
Une série de jugements rendus en 2002 et 2003 par les tribunaux administratifs de Marseille et de Lyon, ainsi que par le Conseil d’Etat, dans une affaire opposant trois familles au Département des Bouches-du-Rhône nous offre l’occasion de faire le point en quelques questions simples. Nous partons ici des interrogations que se posent les professionnels sur le terrain. Les réponses sont celles que les juristes du Journal des Droits des Jeunes (et principalement Benoît CANDON) ont exposé à travers une série d’articles et de reproductions de pièces parus en février et mai 2003 (voir bibliographie en fin de synthèse).
Nous terminerons cette mise au point par quelques réflexions sur la question des aides financières de l’ASE qui peuvent, en plus de l’argutie juridique, nourrir le positionnement des professionnels. Une bibliographie conclue cette synthèse.
1 Quels cadre légal pour les aides financières de l’ASE ?
Ces aides financières sont régies par trois articles du Code de l’Action Sociale et des Familles. Nous les reproduisons ci-après. Certaines parties sont soulignées par nous. Elles sont en effet essentielles pour bien saisir ce que prévoit le cadre légal.
L 222-2
L'aide à domicile est attribuée sur sa demande, ou avec son accord, à la mère, au père ou, à défaut, à la personne qui assume la charge effective de l'enfant, lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité, son entretien ou son éducation l'exigent et, pour les prestations financières, lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes.
Elle est accordée aux femmes enceintes confrontées à des difficultés médicales ou sociales et financières, lorsque leur santé ou celle de l'enfant l'exige.
Elle peut concourir à prévenir une interruption volontaire de grossesse.
Elle peut être accordée aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de vingt et un ans, confrontés à des difficultés sociales.
L 222-3
L'aide à domicile comporte, ensemble ou séparément :
- l'action d'un technicien ou d'une technicienne de l'intervention sociale et familiale ou d'une aide ménagère ;
- l'intervention d'un service d'action éducative ;
- le versement d'aides financières, effectué sous forme soit de secours exceptionnels, soit d'allocations mensuelles, à titre définitif ou sous condition de remboursement, éventuellement délivrés en espèces.
L 221-1
Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes :
1º Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille, aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ;(…)
2 Quelle est la nature de l’aide financière de l’ASE ?
Cette aide « constitue un droit fondamental et possède des caractères qui font d’elle un véritable droit, accessible à tous. » (CANDON, 2003, 15)
3 L’aide financière de l’ASE est-elle la mise en œuvre d’un droit constitutionnel ?
L’aide sociale à l’Enfance constitue une des modalités de la mise en œuvre du « droit à une vie décente » ou « droit à la protection sociale et à la sécurité matérielle », lequel constitue « un principe de valeur constitutionnelle » selon le Conseil Constitutionnel [1]
Le Tribunal Administratif de Marseille[2] précise même que le « droit à une vie décente constitue une liberté fondamentale dont l’aide sociale à l’enfance et l’aide à domicile sont des manifestations (…). ».
4 Que dit la Convention Internationale des Droits des Enfants de 1989 ?
Dans l’article 3-1 de cette convention ratifiée par la France, disposition directement invocable selon le Conseil d’Etat[3], il est précisé que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociales (…), l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
L’Aide financière de l’Aide Sociale à l’Enfance est donc un droit fondamental.
5 L’aide financière de l’ASE constitue-t-elle une simple faculté pour le Département ou un droit directement invocable par la famille ?
Cette question n’a pas été explicitement tranchée mais l’a été implicitement par le biais des injonctions des tribunaux[4]. Si les conseils généraux tendent à interpréter la loi dans le sens de la première interprétation (simple faculté ), c’est la seconde qui est soutenue par les divers jugements. L’aide apparaît donc bien obligatoire à partir du moment où les conditions légales sont réunies.
Si nous revoyons les articles du Code de l’Action Sociale et des Familles mentionnés ci-dessus, nous pouvons noter que le L 222-2 utilise le mode affirmatif (« l’aide à domicile est attribuée… » et non pas qu’elle « peut être attribuée ». Par contre, dans le cas des jeunes majeurs de moins de 21 ans et de la prévention d’une interruption volontaire de grossesse, il est précisé qu’elle « peut être accordé » et « peut concourir à ». La rédaction est un choix du législateur, pas un hasard.
6 Le Département n’est-il pas libre de définir ses normes de fonctionnement ?
Il existe un principe de libre administration des collectivités locales. Mais ce principe, comme le précise l’article 72 de la Constitution, ne s’exerce « que dans les conditions prévues par la loi ». Il ne faut pas confondre organisation et gestion des services (compétences des Départements) et la fixation des normes minimales d’activité, d’encadrement et de qualification (compétences de l’Etat). En clair, un Conseil Général ne peut intervenir qu’en posant des règles plus favorables que la loi (aides extra-légales). Il ne peut arguer du principe de libre administration dans ce domaine[5]
« L’aide financière a pour origine la loi, même si elle est dispensée par le département. Ce dernier reste donc tenu de respecter son régime juridique légal (…) ». (CANDON 2003, 16)
7 Les aides sont-elles limitées par des questions de budget ?
Le fonctionnement des Conseils Généraux, par Budget Prévisionnel avec dotations aux services, fait que souvent, il existe une enveloppe pour l’année. Les gestionnaires des aides, qu’ils se situent à un niveau départemental ou déconcentré (et parfois des travailleurs sociaux eux-mêmes) tendent à respecter ce cadre. Si la maîtrise des dépenses constitue une obligation, elle ne permet cependant pas de justifier une décision en matière d’Aide Sociale à l’Enfance. En effet, l’article L 3321-1-10° du Code général des collectivités territoriales précise :
« Sont obligatoires pour le département :
(…)
10º Les dépenses relatives à l'action sociale, à la santé et à l'insertion mises à la charge du département ;
10º bis Les dépenses relatives à l'allocation personnalisée d'autonomie ;
(…) »
Comme pour l’Allocation Personnalisée d’Autonomie, l’Action sociale (donc l’ASE) constitue une « dépense obligatoire ». Cela permet de garantir l’exercice effectif de cette mission. Benoît CANDON (2003, 16) précise à ce sujet : « un crédit pourrait être inscrit d’office et (…) les limites budgétaires qui s’opposeraient à l’octroi d’une aide pourraient être valablement contestées. »
8 L’aide est-elle limitée dans le temps ?
Les articles L 222-2 et L 222-3 du CASF prévoient des « allocations mensuelles ». C’est bien le pluriel qui est utilisé, montrant la possibilité de la répétition de ces aides. Si l’on prend les textes légaux, qui posent des conditions objectives d’attribution de ces aides, la seule disposition évoquant une limite temporelle et les conditions de renouvellement est l’article L 223-5 du CASF qui concerne principalement les placements d’enfants. Actuellement, la jurisprudence[6] va clairement dans le sens d’une aide non-limitée dans le temps dans la mesure où les requérants continuent de remplir les conditions requises pour bénéficier de l’aide en cause.
9 L’irrégularité de séjour a-t-elle une conséquence sur l’attribution de l’aide ?
Parmi les publics pouvant demander une aide financière de l’ASE se trouvent les personnes qui sont sans-titre de séjour. La réponse est claire : comme dans les autres situations, ce sont les mêmes critères qui doivent présider à l’examen de la demande et la réponse. Une décision du Conseil Constitutionnel[7] a d’ailleurs précisé l’absence de condition de régularité de séjour préalable à l’attribution, entre autres, de cette aide sociale. C’est bien l’existence de cette aide qui permet de considérer les étrangers comme suffisamment aidés pour ne pas violer la garantie constitutionnelle du droit à une vie décente.
10 Quels sont les motifs de refus prévus par la loi ?
Ces motifs se limitent à apprécier « l’impécuniosité de la famille et ses difficultés au regard de la santé, la sécurité, l’entretien ou l’éducation des enfants » (CARRON 2003, 17). Si, par exemple, la famille dispose de revenus importants ou qu’elle effectue des dépenses excessives[8], le motif de refus sera valable. L’existence de proches parents susceptibles d’aider le demandeur est plus difficile à argumenter car difficile à établir.
11 Quels motifs ne peuvent être utilisés ?
Ce sont tous les motifs qui ne figurent pas dans les textes de loi et qui, s’agissant d’un droit dont les conditions sont réglementées, ne devraient pas apparaître. Il convient de noter que ces motifs peuvent par contre être utilisés si l’aide possède un caractère facultatif[9]. Voici une liste non-exhaustive d’exemples de motifs non-admissibles.
Nous l’avons vu, tous les motifs liés à la durée : « l’aide est provisoire », « l’aide est exceptionnelle », « l’aide ne peut constituer un revenu mensuel », « l’aide ne peut constituer un revenu permanent », « l’aide ne constitue pas un revenu de substitution », etc.
Un comportement estimé fautif ou irresponsable ne justifie pas en soi un refus. Pas plus que la carence d’une institution autre que le Conseil général, laquelle ne dispense pas l’ASE d’intervenir[10].
12 Quels éléments doivent être mentionnés sur les notifications de décisions ?
Benoît CANDON (2003, 16) précise que les « articles L 223-1 et suivants du CASF, de même que le décret d’application n° 85-936 du 23 août 1985, prévoient une série de règles protectrices des usagers, parmi lesquelles l’information donnée aux familles, notamment sur la périodicité et les conditions de révision des mesures, la motivation en fait et en droit des décisions d’attribution (…), et l’indication des voies et délais de recours. ». L’auteur souligne que la « réalité est parfois inversée, notamment quand l’information donnée l’information donnée revient à déclarer que l’aide est provisoire et ne peut être renouvelée. »
1] DC n° 86-225 du 23 janvier 1987 sur la « Loi portant diverses mesures d’ordre social ».
[2] Ordo. Réf . TA Marseille, 4 octobre 2002, req. N° 024716/0)
[3] not. CE. 29 janvier 2001, Préfet de Poitou-Charentes c./Cissé, req. N° 217.162)
[4] Voir notamment l’arrêt du Conseil d’Etat concernant Département des Bdr : Marinkovic ? du 8 août 2002, req. N° 247.068.
[5] Voir Ord. Réf. Haroura c./ Dépt. BdR, 13 novembre 2002, req. N° 025175 ; Gasmi c./ Dépt. BdR, 20 décembre 2002, req. N° 025 572.
[6] Voir notamment les cinq ordonnance de référé-suspension du Tribunal administratif de Marseille : Omerovic c./ Dépt. BdR, 16 septembre 2002, req. N° 024223 ; Maatallah c./ Dépt. BdR, 6 novembre 2002, req. N° 025100 ; Haroura c./ Dépt. BdR., 13 novembre 2002, req. N° 025175 ; Gasmi c./ Dépt. BdR. 20 décembre 2002. req. N° 025572. Cette juridiction considère que « ni les dispositions précitées du Code de l’aide sociale et des familles, ni aucune autre disposition, ne prévoient que l’allocation mensuelle serait limitée à une courte période ».
[7] DC n° 93-325 du 13 août 1993 relative à la « loi relative à la maîtrise de l’immigration et des conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France ».
[8] Conseil d’Etat, Bernabeau, 17 janvier 1996, req. N° 157377.
[9] C’est par exemple le cas s’agissant de l’aide aux jeunes majeurs prévue par l’article L. 222-2 alinéa 4. Voir décision du Conseil d’Etat, 26 février 1996, Dpt de la Marne, req. N° 155639.
[10] Si le demandeur n’a pas refusé d’autres aides possibles dispensées par d’autres institutions ou n’en bénéficiait pas à la date de l’acte, l’aide de l’ASE doit intervenir selon les conditions prévues (Gasmi c./ Dépt. BdR. 20 décembre 2002. req. N° 025572. du Tribunal administratif de Marseille).
Bibliographie
BARTHOLOME Jean-Pierre, l’avis du commissaire du gouvernement, Journal des Droits des Jeunes n°225, mai 2003.
CANDON Benoît, Les aides financières en question. Journal des Droits des Jeunes n°222, février 2003.
Jurisprudences concernant l’aide sociale à l’enfance. Le Journal du Droit des Jeunes, Février 2003, pages 53 à 61.
Jurisprudences concernant l’aide sociale à l’enfance. Le Journal du Droit des Jeunes, Mai 2003, pages 55 et 56.
Code de l’Action Sociale et des Familles.
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* Assistants de service social, exercent en polyvalence de secteur, actuellement en fonction en conseil général
Une série de jugements rendus en 2002 et 2003 par les tribunaux administratifs de Marseille et de Lyon, ainsi que par le Conseil d’Etat, dans une affaire opposant trois familles au Département des Bouches-du-Rhône nous offre l’occasion de faire le point en quelques questions simples. Nous partons ici des interrogations que se posent les professionnels sur le terrain. Les réponses sont celles que les juristes du Journal des Droits des Jeunes (et principalement Benoît CANDON) ont exposé à travers une série d’articles et de reproductions de pièces parus en février et mai 2003 (voir bibliographie en fin de synthèse).
Nous terminerons cette mise au point par quelques réflexions sur la question des aides financières de l’ASE qui peuvent, en plus de l’argutie juridique, nourrir le positionnement des professionnels. Une bibliographie conclue cette synthèse.
1 Quels cadre légal pour les aides financières de l’ASE ?
Ces aides financières sont régies par trois articles du Code de l’Action Sociale et des Familles. Nous les reproduisons ci-après. Certaines parties sont soulignées par nous. Elles sont en effet essentielles pour bien saisir ce que prévoit le cadre légal.
L 222-2
L'aide à domicile est attribuée sur sa demande, ou avec son accord, à la mère, au père ou, à défaut, à la personne qui assume la charge effective de l'enfant, lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité, son entretien ou son éducation l'exigent et, pour les prestations financières, lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes.
Elle est accordée aux femmes enceintes confrontées à des difficultés médicales ou sociales et financières, lorsque leur santé ou celle de l'enfant l'exige.
Elle peut concourir à prévenir une interruption volontaire de grossesse.
Elle peut être accordée aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de vingt et un ans, confrontés à des difficultés sociales.
L 222-3
L'aide à domicile comporte, ensemble ou séparément :
- l'action d'un technicien ou d'une technicienne de l'intervention sociale et familiale ou d'une aide ménagère ;
- l'intervention d'un service d'action éducative ;
- le versement d'aides financières, effectué sous forme soit de secours exceptionnels, soit d'allocations mensuelles, à titre définitif ou sous condition de remboursement, éventuellement délivrés en espèces.
L 221-1
Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes :
1º Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille, aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ;(…)
2 Quelle est la nature de l’aide financière de l’ASE ?
Cette aide « constitue un droit fondamental et possède des caractères qui font d’elle un véritable droit, accessible à tous. » (CANDON, 2003, 15)
3 L’aide financière de l’ASE est-elle la mise en œuvre d’un droit constitutionnel ?
L’aide sociale à l’Enfance constitue une des modalités de la mise en œuvre du « droit à une vie décente » ou « droit à la protection sociale et à la sécurité matérielle », lequel constitue « un principe de valeur constitutionnelle » selon le Conseil Constitutionnel [1]
Le Tribunal Administratif de Marseille[2] précise même que le « droit à une vie décente constitue une liberté fondamentale dont l’aide sociale à l’enfance et l’aide à domicile sont des manifestations (…). ».
4 Que dit la Convention Internationale des Droits des Enfants de 1989 ?
Dans l’article 3-1 de cette convention ratifiée par la France, disposition directement invocable selon le Conseil d’Etat[3], il est précisé que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociales (…), l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
L’Aide financière de l’Aide Sociale à l’Enfance est donc un droit fondamental.
5 L’aide financière de l’ASE constitue-t-elle une simple faculté pour le Département ou un droit directement invocable par la famille ?
Cette question n’a pas été explicitement tranchée mais l’a été implicitement par le biais des injonctions des tribunaux[4]. Si les conseils généraux tendent à interpréter la loi dans le sens de la première interprétation (simple faculté ), c’est la seconde qui est soutenue par les divers jugements. L’aide apparaît donc bien obligatoire à partir du moment où les conditions légales sont réunies.
Si nous revoyons les articles du Code de l’Action Sociale et des Familles mentionnés ci-dessus, nous pouvons noter que le L 222-2 utilise le mode affirmatif (« l’aide à domicile est attribuée… » et non pas qu’elle « peut être attribuée ». Par contre, dans le cas des jeunes majeurs de moins de 21 ans et de la prévention d’une interruption volontaire de grossesse, il est précisé qu’elle « peut être accordé » et « peut concourir à ». La rédaction est un choix du législateur, pas un hasard.
6 Le Département n’est-il pas libre de définir ses normes de fonctionnement ?
Il existe un principe de libre administration des collectivités locales. Mais ce principe, comme le précise l’article 72 de la Constitution, ne s’exerce « que dans les conditions prévues par la loi ». Il ne faut pas confondre organisation et gestion des services (compétences des Départements) et la fixation des normes minimales d’activité, d’encadrement et de qualification (compétences de l’Etat). En clair, un Conseil Général ne peut intervenir qu’en posant des règles plus favorables que la loi (aides extra-légales). Il ne peut arguer du principe de libre administration dans ce domaine[5]
« L’aide financière a pour origine la loi, même si elle est dispensée par le département. Ce dernier reste donc tenu de respecter son régime juridique légal (…) ». (CANDON 2003, 16)
7 Les aides sont-elles limitées par des questions de budget ?
Le fonctionnement des Conseils Généraux, par Budget Prévisionnel avec dotations aux services, fait que souvent, il existe une enveloppe pour l’année. Les gestionnaires des aides, qu’ils se situent à un niveau départemental ou déconcentré (et parfois des travailleurs sociaux eux-mêmes) tendent à respecter ce cadre. Si la maîtrise des dépenses constitue une obligation, elle ne permet cependant pas de justifier une décision en matière d’Aide Sociale à l’Enfance. En effet, l’article L 3321-1-10° du Code général des collectivités territoriales précise :
« Sont obligatoires pour le département :
(…)
10º Les dépenses relatives à l'action sociale, à la santé et à l'insertion mises à la charge du département ;
10º bis Les dépenses relatives à l'allocation personnalisée d'autonomie ;
(…) »
Comme pour l’Allocation Personnalisée d’Autonomie, l’Action sociale (donc l’ASE) constitue une « dépense obligatoire ». Cela permet de garantir l’exercice effectif de cette mission. Benoît CANDON (2003, 16) précise à ce sujet : « un crédit pourrait être inscrit d’office et (…) les limites budgétaires qui s’opposeraient à l’octroi d’une aide pourraient être valablement contestées. »
8 L’aide est-elle limitée dans le temps ?
Les articles L 222-2 et L 222-3 du CASF prévoient des « allocations mensuelles ». C’est bien le pluriel qui est utilisé, montrant la possibilité de la répétition de ces aides. Si l’on prend les textes légaux, qui posent des conditions objectives d’attribution de ces aides, la seule disposition évoquant une limite temporelle et les conditions de renouvellement est l’article L 223-5 du CASF qui concerne principalement les placements d’enfants. Actuellement, la jurisprudence[6] va clairement dans le sens d’une aide non-limitée dans le temps dans la mesure où les requérants continuent de remplir les conditions requises pour bénéficier de l’aide en cause.
9 L’irrégularité de séjour a-t-elle une conséquence sur l’attribution de l’aide ?
Parmi les publics pouvant demander une aide financière de l’ASE se trouvent les personnes qui sont sans-titre de séjour. La réponse est claire : comme dans les autres situations, ce sont les mêmes critères qui doivent présider à l’examen de la demande et la réponse. Une décision du Conseil Constitutionnel[7] a d’ailleurs précisé l’absence de condition de régularité de séjour préalable à l’attribution, entre autres, de cette aide sociale. C’est bien l’existence de cette aide qui permet de considérer les étrangers comme suffisamment aidés pour ne pas violer la garantie constitutionnelle du droit à une vie décente.
10 Quels sont les motifs de refus prévus par la loi ?
Ces motifs se limitent à apprécier « l’impécuniosité de la famille et ses difficultés au regard de la santé, la sécurité, l’entretien ou l’éducation des enfants » (CARRON 2003, 17). Si, par exemple, la famille dispose de revenus importants ou qu’elle effectue des dépenses excessives[8], le motif de refus sera valable. L’existence de proches parents susceptibles d’aider le demandeur est plus difficile à argumenter car difficile à établir.
11 Quels motifs ne peuvent être utilisés ?
Ce sont tous les motifs qui ne figurent pas dans les textes de loi et qui, s’agissant d’un droit dont les conditions sont réglementées, ne devraient pas apparaître. Il convient de noter que ces motifs peuvent par contre être utilisés si l’aide possède un caractère facultatif[9]. Voici une liste non-exhaustive d’exemples de motifs non-admissibles.
Nous l’avons vu, tous les motifs liés à la durée : « l’aide est provisoire », « l’aide est exceptionnelle », « l’aide ne peut constituer un revenu mensuel », « l’aide ne peut constituer un revenu permanent », « l’aide ne constitue pas un revenu de substitution », etc.
Un comportement estimé fautif ou irresponsable ne justifie pas en soi un refus. Pas plus que la carence d’une institution autre que le Conseil général, laquelle ne dispense pas l’ASE d’intervenir[10].
12 Quels éléments doivent être mentionnés sur les notifications de décisions ?
Benoît CANDON (2003, 16) précise que les « articles L 223-1 et suivants du CASF, de même que le décret d’application n° 85-936 du 23 août 1985, prévoient une série de règles protectrices des usagers, parmi lesquelles l’information donnée aux familles, notamment sur la périodicité et les conditions de révision des mesures, la motivation en fait et en droit des décisions d’attribution (…), et l’indication des voies et délais de recours. ». L’auteur souligne que la « réalité est parfois inversée, notamment quand l’information donnée l’information donnée revient à déclarer que l’aide est provisoire et ne peut être renouvelée. »
1] DC n° 86-225 du 23 janvier 1987 sur la « Loi portant diverses mesures d’ordre social ».
[2] Ordo. Réf . TA Marseille, 4 octobre 2002, req. N° 024716/0)
[3] not. CE. 29 janvier 2001, Préfet de Poitou-Charentes c./Cissé, req. N° 217.162)
[4] Voir notamment l’arrêt du Conseil d’Etat concernant Département des Bdr : Marinkovic ? du 8 août 2002, req. N° 247.068.
[5] Voir Ord. Réf. Haroura c./ Dépt. BdR, 13 novembre 2002, req. N° 025175 ; Gasmi c./ Dépt. BdR, 20 décembre 2002, req. N° 025 572.
[6] Voir notamment les cinq ordonnance de référé-suspension du Tribunal administratif de Marseille : Omerovic c./ Dépt. BdR, 16 septembre 2002, req. N° 024223 ; Maatallah c./ Dépt. BdR, 6 novembre 2002, req. N° 025100 ; Haroura c./ Dépt. BdR., 13 novembre 2002, req. N° 025175 ; Gasmi c./ Dépt. BdR. 20 décembre 2002. req. N° 025572. Cette juridiction considère que « ni les dispositions précitées du Code de l’aide sociale et des familles, ni aucune autre disposition, ne prévoient que l’allocation mensuelle serait limitée à une courte période ».
[7] DC n° 93-325 du 13 août 1993 relative à la « loi relative à la maîtrise de l’immigration et des conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France ».
[8] Conseil d’Etat, Bernabeau, 17 janvier 1996, req. N° 157377.
[9] C’est par exemple le cas s’agissant de l’aide aux jeunes majeurs prévue par l’article L. 222-2 alinéa 4. Voir décision du Conseil d’Etat, 26 février 1996, Dpt de la Marne, req. N° 155639.
[10] Si le demandeur n’a pas refusé d’autres aides possibles dispensées par d’autres institutions ou n’en bénéficiait pas à la date de l’acte, l’aide de l’ASE doit intervenir selon les conditions prévues (Gasmi c./ Dépt. BdR. 20 décembre 2002. req. N° 025572. du Tribunal administratif de Marseille).
Bibliographie
BARTHOLOME Jean-Pierre, l’avis du commissaire du gouvernement, Journal des Droits des Jeunes n°225, mai 2003.
CANDON Benoît, Les aides financières en question. Journal des Droits des Jeunes n°222, février 2003.
Jurisprudences concernant l’aide sociale à l’enfance. Le Journal du Droit des Jeunes, Février 2003, pages 53 à 61.
Jurisprudences concernant l’aide sociale à l’enfance. Le Journal du Droit des Jeunes, Mai 2003, pages 55 et 56.
Code de l’Action Sociale et des Familles.
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* Assistants de service social, exercent en polyvalence de secteur, actuellement en fonction en conseil général