"On les appelle jeunes « incasables » ou, de façon moins stigmatisante, « en situation complexe ». Par-delà leurs singularités, ils ont en commun d’avoir connu des traumatismes durant l’enfance (maltraitances, négligences, liens d‘attachement défaillants, exil, etc.) qui, faute d’élaboration psychique, se traduisent, de façon particulièrement exacerbée à l’adolescence, voire avant, par la combinaison de fragilités psychiatriques et/ou de handicap avec des troubles sévères du comportement.
En raison du caractère multidimensionnel de leurs problématiques, de leurs multiples passages à l’acte transgressif, violent (contre eux-mêmes ou contre autrui), de leur refus de tout travail thérapeutique et de leur difficulté à faire lien avec les autres et en particulier les adultes, leurs prises en charge aboutissent constamment à des échecs, des exclusions ou réorientations vers d’autres services, parfois entrecoupés de retours en famille, faute de place en institution... Mises à bout, épuisées, habitées par le sentiment d’impuissance, les équipes finissent à chaque fois par jeter l’éponge. « Patates chaudes » ballotées de case en case, ces jeunes revivent alors les ruptures et abandons du passé, se voyant confirmés dans leur absence d’estime de soi et de confiance envers ceux qui sont supposés prendre soin d’eux. Jusqu’au passage à la majorité, à la « mise en autonomie », où leur errance institutionnelle donnera parfois lieu à l’errance tout court...
Les contributeurs de ce dossier sont unanimes : pour aider ces jeunes à sortir de cette spirale, de nouvelles réponses sont à inventer et celles-ci, déjà expérimentées ici et là, passent avant tout par un renforcement et un renouvellement du « travail à plusieurs ».
En interne, tout d’abord, où il est essentiel d’offrir aux professionnels davantage de temps et d’espaces d’échange bienveillants autour de leurs vécus émotionnels, de leurs éprouvés et des diverses facettes que leur donnent à voir ces jeunes aux clivages prononcés.
En externe, ensuite, avec le tissage de partenariats réfléchis, durables, nourris d’engagements mutuels, entre institutions d’un même secteur mais aussi de différents secteurs. Ce travail en réseau est indispensable pour enfin offrir aux jeunes cabossés une cohérence et une continuité d’accompagnement, regagner leur confiance et, grâce à diverses modalités de prise en charge partagée et co-responsable (time-out, service de réorientation, etc.), permettre aux équipes de « (con)tenir ensemble » face aux attaques du lien et autres comportements (auto)destructeurs de ces jeunes...
Pour construire ce dossier, nous sommes partis d’un colloque intitulé « Les jeunes en errance, quels outils intersectoriels ? » organisé en février dernier par la Haute école Lucia de Brouckère, dont plusieurs intervenants figurent parmi nos contributeurs. "
Romain Lecomte & Justine Aerts
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