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Hommage à Christine Garcette
Je vous propose une approche critique de la transmission d’informations préoccupantes à la cellule départementale telle que prévue par la loi du 5 mars 2007. Dans un premier temps, j’interrogerai les conséquences de ce dispositif pour la relation professionnels/familles. J’aborderai ensuite rapidement le risque possible de déqualification de l’intervention sociale contenu dans cette partie de la loi. Je conclurai en proposant quelques pistes pour que la cellule départementale soit vraiment un outil de prévention et protection.
Que dit le cadre légal ?
Le professionnel recueille l’information « préoccupante », peut sous certaines conditions la partager (L 226-2-2) mais est tenu de la transmettre (L 226-2-1) « sans délai » à la cellule départementale qui la recoupe, l’évalue, voire choisit de signaler à la justice.
Des protocoles de partage d’informations doivent se mettre en place.
Les professionnels sont donc autorisés à Partager, mais devraient mécaniquement et rapidement Transmettre à une instance, quand bien même cette transmission pourrait parfois générer une situation pire pour l’enfant…
Quelle place resterait-il alors pour un positionnement professionnel face à une automatisation de la transmission ?
Rappelons que le positionnement professionnel en travail social est en tension entre 4 pôles :
- L’usager
- Le cadre légal
- L’institution
- La déontologie (comme incluant l’éthique : interrogation permanente du sens de nos actes.)
Il ne se situe donc pas forcément dans le droit, mais se définit à partir du droit, de la déontologie, des besoins de l’usager et de la commande de l’institution.
Prenant en compte ces quatre pôles, la transmission d’informations est donc avant tout un acte éthique.
Cela signifie qu’il peut être professionnellement fondé, donc légitime de ne pas partager ou transmettre une information, quand bien même elle serait préoccupante.
Pour avancer dans cette réflexion, il me faut revenir à ce qui fonde la relation entre un travailleur médico-social et la personne qu’il reçoit, c’est à dire la confiance.
Chacun sait que l’existence de cette confiance va favoriser l’expression d’une difficulté et permettre un soutien adapté de la part du professionnel et de son service. Elle va aussi optimiser un véritable travail en commun dans des situations plus ou moins dégradées.
Nous savons que lorsque cette confiance est absente ou factice, les rapports avec les familles sont marqués par des omissions qui peuvent aller jusqu’au mensonge, des stratégies d’évitements voire de fuite. Autant de stratégies adaptatives normales lorsque la confiance a disparu.
De nombreux travaux montrent que le rapport travailleurs sociaux/familles est déjà fragile, rapidement marqué par de la défiance, une défiance souvent proportionnelle à la contrainte qui pèse sur les familles.
Que la loi autorise ou pas à partager ou à transmettre une information, la question de la confiance reste donc essentielle.
Une fois cela dit, quelle posture adopter lorsqu’un professionnel se trouve avec des informations qui lui paraissent préoccupantes mais que la transmission pourrait entraîner une rupture de la confiance qui s’avérerait directement ou indirectement néfaste pour l’enfant ?
Nous avons à faire quelque chose de terrible dans la société du « risque-zéro » : Prendre des risques.
Le risque met mal à l’aise chacun d’entre nous. Normal, car le risque relève d’une spéculation et non d’un fait, il est l’anticipation d’un dommage possible, et un dommage, c’est l’atteinte à un bien espéré (ici, l’amélioration de la situation de l’enfant).
Il n’existe pas de solution idéale, parfaite. A chaque fois que nous avons le choix, nous nous trouvons face à au moins deux risques et il nous faut en préférer un à l’autre.
J’illustre mon propos par une situation extrême avant de revenir à la question « confiance et transmission » :
Lorsque nous avons une situation où le placement d’un enfant apparaît comme pertinent, nous savons tous que cette décision ne sera pas sans conséquences négatives pour l’enfant.
Ce qui nous a permis de faire ce choix, c’est l’évaluation du rapport entre les bénéfices espérés et les risques existant dans l’hypothèse d’un placement, comparé au rapport risques/bénéfices du maintien dans la famille.
Nous pouvons alors faire un choix : le moins mauvais possible.
La situation est la même dans la question du partage et de la transmission de l’information : quel rapport bénéfice/risque si je transmets et si je ne transmets pas et donc, quel choix vais-je faire en responsabilité, c'est-à-dire que je peux expliquer et assumer.
J’illustre une nouvelle fois :
Un adolescent me confie une situation de maltraitance qu’il vit mais m’interdit d’en parler. Si je transmets, et que cela donne lieu à une intervention administrative ou judiciaire, quelle confiance dans la parole du professionnel, la mienne et celle des autres intervenants ? Redira t-il ce qu’il vit à un autre ou sera-t-il dans la négation pour protéger un système familial auquel il est attaché ? Voilà des questions incontournables qui doivent être posées avant toute transmission ou partage d’information.
Il sera souvent nécessaire de partager et transmettre mais s’il y a automaticité de la transmission à la cellule départementale :
- le secret n’est plus qu’un secret de polichinelle.
- la confiance sera trop souvent trahie.
- le travail ensemble sera dans quantité de situations fondé sur un faux-semblant, voire impossible.
- Ce qui fait que la protection de l’enfance perdra d’un côté ce qui aura été gagné de l’autre.
La transmission d’information peut avoir un coût élevé mais tellement imperceptible pour l’institution : un enfant qui ne parle pas, un parent qui ne dit pas sa difficulté, tout cela n’existe pas puisqu’ils ne se voient pas, ne s’entendent pas et n’apparaissent dans aucune statistique que l’Observatoire Départemental pourrait établir…
Ces situations apparaîtront peut-être un jour, plus tard, avec le risque d’être trop dégradées pour agir efficacement.
Pour maintenir le contact avec le public, nous avons donc une culture de la gestion du risque à cultiver et à améliorer.
Mais, parce qu’il y a risque, le professionnel ne peut rester seul. Il doit avoir le réflexe de confronter son évaluation à un avis technique assez distancié de la situation pour pouvoir offrir un éclairage différent et assez proche du terrain, de la rencontre avec le public pour ne pas avoir une vision restreinte et décalée de la réalité.
Avant de dire quels me paraissent être les professionnels-ressources adaptés, je précise qu’un des risques de la cellule départementale, c’est celui d’une instance éloignée de la complexité d’une situation.
La réalité est faîte de multiples facettes : chez un parent, une compétence existe en même temps qu’un comportement qui peut s’avérer inadapté aux besoins d’un enfant. La cellule perdrait à être une instance de recherche d’informations préoccupantes.
Ajoutez à cela l’insécurité que provoque l’éloignement du traitement d’une situation, le sentiment de n’avoir jamais assez d’éléments (ce que l’on trouve dans toutes les commissions de décisions), et vous avez tous les ingrédients pour des tensions permanentes entre cellule et terrain.
Alors, quels professionnels-ressources ? De façon évidente, ce sont les pairs et l’encadrement technique intermédiaire : c’est une compétence et une responsabilité collective qu’ils partagent. Deux conditions cependant :
- le choix du ou des professionnels-ressources par le professionnel demandeur.
- l’anonymisation possible de la co-évaluation.
J’en viens maintenant au deuxième point, celui de la déqualification.
Le monde du social est touché par une obsession illusoire venant du secteur industriel : celle du «zéro défaut». Le problème, c’est que dans le social, nous ne fabriquons pas des voitures mais que nous sommes et faisons avec des êtres humains. Les questions ne sont donc pas seulement compliquées. Elles sont complexes : les événements ne se déroulent pas de façon linéaire et une part nous échappera toujours.
Nos institutions sont fortement marquées par un rêve bureaucratique : toujours mieux maîtriser le risque, avec cet espoir fou qu’il disparaisse. Nous inventons des dispositifs et procédures, des chaînes dans lesquelles la traçabilité de l’information et des professionnels est recherchée. Nous décomposons en morceaux l’intervention dans une situation, avec un professionnel à chaque étape. Cette taylorisation du travail social se retrouve avec cette cellule départementale à transmission automatique : Le professionnel de terrain ramasse de l’information qu’il « pré-évalue » (Guide ministériel) et adresse à la cellule départementale : c’est dans ce lieu que l’information va être évaluée. Cette instance peut demander un complément d’informations et orienter l’action du ou des professionnels en contact avec les familles. Elle peut décider le signalement à l’autorité judiciaire.
Le systématisme de la transmission pour évaluation à la cellule entraîne une séparation entre la tête (la cellule) et les jambes (les professionnels de terrain et leurs encadrements). Or, dans notre dispositif, nous avons des professionnels de terrain et d’encadrement responsables et compétents en termes d’évaluation. En entamant un mouvement de déplacement du lieu de l’évaluation du terrain vers le cœur de l’institution, des professionnels en contact avec le public vers d’autres qui ne le sont pas, en faisant du systématique alors que ce sont des espaces d’autonomie créatrice dont nous avons besoin, nous poursuivons sur la voie de la déqualification dont les multiples procédures et guides dit de bonnes pratiques sont une des manifestations.
De plus, des professionnels qui sont dans l’application des procédures, ce sont des professionnels qui perdent le sens de leur travail. Des professionnels qui perdent le sens de leur travail, ce sont des professionnels qui s’épuisent et perdent de leurs compétences. Les cadres sont aussi touchés par ce phénomène.
Alors, pour terminer, quelles pistes ?
Se rappeler que l’objectif prioritaire, c’est la protection de l’enfance. Et que la confiance entre le travailleur social et l’enfant ou les parents est centrale.
Penser à prendre en compte les personnes, et pas seulement en charge.
Garder des espaces où la pensée d’équipe permet une intervention au plus juste.
L’institution doit avoir confiance en ses professionnels et encadrements de terrain, valoriser et favoriser leurs compétences et leur responsabilité.
Finalement, il suffirait d’un petit bout de phrase en fin de l’article L. 226-2-1 pour régler cette question : « Sauf intérêt contraire de l’enfant »
« Les personnes qui mettent en oeuvre la politique de protection de l’enfance défi nie à l’article L. 112-3 ainsi que celles qui lui apportent leur concours transmettent sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné par lui, conformément à l’article L. 226-3, toute information préoccupante sur un mineur en danger ou risquant de l’être, au sens de l’article 375 du code civil, sauf intérêt contraire de l’enfant. »
Enfin, il est possible qu’en débutant mon intervention par une relativisation du cadre légal, j’ai choqué certains d’entre vous. Je finirai donc en les rassurant et en rappelant l’article L 112-4 créé par la loi du 5 mars 2007 : « L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. »
Cet article me semble suffire à justifier légalement la non-transmission automatique d’informations à la cellule départementale.
Aux partenaires d’ajouter ce point dans leurs protocoles départementaux de partage d’informations !
Annexes
Article L112-3
(inséré par Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 1 I Journal Officiel du 6 mars 2007)
La protection de l'enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives, d'accompagner les familles et d'assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs. Elle comporte à cet effet un ensemble d'interventions en faveur de ceux-ci et de leurs parents. Ces interventions peuvent également être destinées à des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. La protection de l'enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d'assurer leur prise en charge.
Article L112-4
(inséré par Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 1 I Journal Officiel du 6 mars 2007)
L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant.
Article L226-2-2
(inséré par Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 15 Journal Officiel du 6 mars 2007)
Par exception à l'article 226-13 du code pénal, les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en oeuvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l'intérêt de l'enfant.
Article L221-6
Toute personne participant aux missions du service de l'aide sociale à l'enfance est tenue au secret professionnel sous les peines et dans les conditions prévues par les articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
Elle est tenue de transmettre sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné par lui toute information nécessaire pour déterminer les mesures dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier, et notamment toute information sur les situations de mineurs susceptibles de relever du chapitre VI du présent titre.
L'article 226-13 du code pénal n'est pas applicable aux personnes qui transmettent des informations dans les conditions prévues par l'alinéa précédent ou dans les conditions prévues par l'article L. 221-3 du présent code.
Article L226-2-1
(inséré par Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 12 1º Journal Officiel du 6 mars 2007)
Sans préjudice des dispositions du II de l'article L. 226-4, les personnes qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ainsi que celles qui lui apportent leur concours transmettent sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné par lui, conformément à l'article L. 226-3, toute information préoccupante sur un mineur en danger ou risquant de l'être, au sens de l'article 375 du code civil. Lorsque cette information est couverte par le secret professionnel, sa transmission est assurée dans le respect de l'article L. 226-2-2 du présent code. Cette transmission a pour but de permettre d'évaluer la situation du mineur et de déterminer les actions de protection et d'aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier. Sauf intérêt contraire de l'enfant, le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale ou le tuteur sont préalablement informés de cette transmission, selon des modalités adaptées.
Article L226-3
(Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 3, art. 12 Journal Officiel du 6 mars 2007)
Le président du conseil général est chargé du recueil, du traitement et de l'évaluation, à tout moment et quelle qu'en soit l'origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être. Le représentant de l'Etat et l'autorité judiciaire lui apportent leur concours.
Des protocoles sont établis à cette fin entre le président du conseil général, le représentant de l'Etat dans le département, les partenaires institutionnels concernés et l'autorité judiciaire en vue de centraliser le recueil des informations préoccupantes au sein d'une cellule de recueil, de traitement et d'évaluation de ces informations.
Après évaluation, les informations individuelles font, si nécessaire, l'objet d'un signalement à l'autorité judiciaire.
Les services publics, ainsi que les établissements publics et privés susceptibles de connaître des situations de mineurs en danger ou qui risquent de l'être, participent au dispositif départemental. Le président du conseil général peut requérir la collaboration d'associations concourant à la protection de l'enfance.
Les informations mentionnées au premier alinéa ne peuvent être collectées, conservées et utilisées que pour assurer les missions prévues au 5º de l'article L. 221-1. Elles sont transmises sous forme anonyme à l'observatoire départemental de la protection de l'enfance prévu à l'article L. 226-3-1 et à l'Observatoire national de l'enfance en danger prévu à l'article L. 226-6. La nature et les modalités de transmission de ces informations sont fixées par décret.
Article L221-1
(Loi nº 2002-2 du 2 janvier 2002 art. 75 I 2º, art. 82 Journal Officiel du 3 janvier 2002)
(Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 3 1º Journal Officiel du 6 mars 2007)
Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes :
1º Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ;
2º Organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d'inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l'insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles, notamment celles visées au 2º de l'article L. 121-2 ;
3º Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1º du présent article ;
4º Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal ;
5º Mener, notamment à l'occasion de l'ensemble de ces interventions, des actions de prévention des situations de danger à l'égard des mineurs et, sans préjudice des compétences de l'autorité judiciaire, organiser le recueil et la transmission, dans les conditions prévues à l'article L. 226-3, des informations préoccupantes relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l'être ou dont l'éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l'être, et participer à leur protection ;
6º Veiller à ce que les liens d'attachement noués par l'enfant avec d'autres personnes que ses parents soient maintenus, voire développés, dans son intérêt supérieur.
Pour l'accomplissement de ses missions, et sans préjudice de ses responsabilités vis-à-vis des enfants qui lui sont confiés, le service de l'aide sociale à l'enfance peut faire appel à des organismes publics ou privés habilités dans les conditions prévues aux articles L. 313-8, L. 313-8-1 et L. 313-9 ou à des personnes physiques.
Le service contrôle les personnes physiques ou morales à qui il a confié des mineurs, en vue de s'assurer des conditions matérielles et morales de leur placement.
Que dit le cadre légal ?
Le professionnel recueille l’information « préoccupante », peut sous certaines conditions la partager (L 226-2-2) mais est tenu de la transmettre (L 226-2-1) « sans délai » à la cellule départementale qui la recoupe, l’évalue, voire choisit de signaler à la justice.
Des protocoles de partage d’informations doivent se mettre en place.
Les professionnels sont donc autorisés à Partager, mais devraient mécaniquement et rapidement Transmettre à une instance, quand bien même cette transmission pourrait parfois générer une situation pire pour l’enfant…
Quelle place resterait-il alors pour un positionnement professionnel face à une automatisation de la transmission ?
Rappelons que le positionnement professionnel en travail social est en tension entre 4 pôles :
- L’usager
- Le cadre légal
- L’institution
- La déontologie (comme incluant l’éthique : interrogation permanente du sens de nos actes.)
Il ne se situe donc pas forcément dans le droit, mais se définit à partir du droit, de la déontologie, des besoins de l’usager et de la commande de l’institution.
Prenant en compte ces quatre pôles, la transmission d’informations est donc avant tout un acte éthique.
Cela signifie qu’il peut être professionnellement fondé, donc légitime de ne pas partager ou transmettre une information, quand bien même elle serait préoccupante.
Pour avancer dans cette réflexion, il me faut revenir à ce qui fonde la relation entre un travailleur médico-social et la personne qu’il reçoit, c’est à dire la confiance.
Chacun sait que l’existence de cette confiance va favoriser l’expression d’une difficulté et permettre un soutien adapté de la part du professionnel et de son service. Elle va aussi optimiser un véritable travail en commun dans des situations plus ou moins dégradées.
Nous savons que lorsque cette confiance est absente ou factice, les rapports avec les familles sont marqués par des omissions qui peuvent aller jusqu’au mensonge, des stratégies d’évitements voire de fuite. Autant de stratégies adaptatives normales lorsque la confiance a disparu.
De nombreux travaux montrent que le rapport travailleurs sociaux/familles est déjà fragile, rapidement marqué par de la défiance, une défiance souvent proportionnelle à la contrainte qui pèse sur les familles.
Que la loi autorise ou pas à partager ou à transmettre une information, la question de la confiance reste donc essentielle.
Une fois cela dit, quelle posture adopter lorsqu’un professionnel se trouve avec des informations qui lui paraissent préoccupantes mais que la transmission pourrait entraîner une rupture de la confiance qui s’avérerait directement ou indirectement néfaste pour l’enfant ?
Nous avons à faire quelque chose de terrible dans la société du « risque-zéro » : Prendre des risques.
Le risque met mal à l’aise chacun d’entre nous. Normal, car le risque relève d’une spéculation et non d’un fait, il est l’anticipation d’un dommage possible, et un dommage, c’est l’atteinte à un bien espéré (ici, l’amélioration de la situation de l’enfant).
Il n’existe pas de solution idéale, parfaite. A chaque fois que nous avons le choix, nous nous trouvons face à au moins deux risques et il nous faut en préférer un à l’autre.
J’illustre mon propos par une situation extrême avant de revenir à la question « confiance et transmission » :
Lorsque nous avons une situation où le placement d’un enfant apparaît comme pertinent, nous savons tous que cette décision ne sera pas sans conséquences négatives pour l’enfant.
Ce qui nous a permis de faire ce choix, c’est l’évaluation du rapport entre les bénéfices espérés et les risques existant dans l’hypothèse d’un placement, comparé au rapport risques/bénéfices du maintien dans la famille.
Nous pouvons alors faire un choix : le moins mauvais possible.
La situation est la même dans la question du partage et de la transmission de l’information : quel rapport bénéfice/risque si je transmets et si je ne transmets pas et donc, quel choix vais-je faire en responsabilité, c'est-à-dire que je peux expliquer et assumer.
J’illustre une nouvelle fois :
Un adolescent me confie une situation de maltraitance qu’il vit mais m’interdit d’en parler. Si je transmets, et que cela donne lieu à une intervention administrative ou judiciaire, quelle confiance dans la parole du professionnel, la mienne et celle des autres intervenants ? Redira t-il ce qu’il vit à un autre ou sera-t-il dans la négation pour protéger un système familial auquel il est attaché ? Voilà des questions incontournables qui doivent être posées avant toute transmission ou partage d’information.
Il sera souvent nécessaire de partager et transmettre mais s’il y a automaticité de la transmission à la cellule départementale :
- le secret n’est plus qu’un secret de polichinelle.
- la confiance sera trop souvent trahie.
- le travail ensemble sera dans quantité de situations fondé sur un faux-semblant, voire impossible.
- Ce qui fait que la protection de l’enfance perdra d’un côté ce qui aura été gagné de l’autre.
La transmission d’information peut avoir un coût élevé mais tellement imperceptible pour l’institution : un enfant qui ne parle pas, un parent qui ne dit pas sa difficulté, tout cela n’existe pas puisqu’ils ne se voient pas, ne s’entendent pas et n’apparaissent dans aucune statistique que l’Observatoire Départemental pourrait établir…
Ces situations apparaîtront peut-être un jour, plus tard, avec le risque d’être trop dégradées pour agir efficacement.
Pour maintenir le contact avec le public, nous avons donc une culture de la gestion du risque à cultiver et à améliorer.
Mais, parce qu’il y a risque, le professionnel ne peut rester seul. Il doit avoir le réflexe de confronter son évaluation à un avis technique assez distancié de la situation pour pouvoir offrir un éclairage différent et assez proche du terrain, de la rencontre avec le public pour ne pas avoir une vision restreinte et décalée de la réalité.
Avant de dire quels me paraissent être les professionnels-ressources adaptés, je précise qu’un des risques de la cellule départementale, c’est celui d’une instance éloignée de la complexité d’une situation.
La réalité est faîte de multiples facettes : chez un parent, une compétence existe en même temps qu’un comportement qui peut s’avérer inadapté aux besoins d’un enfant. La cellule perdrait à être une instance de recherche d’informations préoccupantes.
Ajoutez à cela l’insécurité que provoque l’éloignement du traitement d’une situation, le sentiment de n’avoir jamais assez d’éléments (ce que l’on trouve dans toutes les commissions de décisions), et vous avez tous les ingrédients pour des tensions permanentes entre cellule et terrain.
Alors, quels professionnels-ressources ? De façon évidente, ce sont les pairs et l’encadrement technique intermédiaire : c’est une compétence et une responsabilité collective qu’ils partagent. Deux conditions cependant :
- le choix du ou des professionnels-ressources par le professionnel demandeur.
- l’anonymisation possible de la co-évaluation.
J’en viens maintenant au deuxième point, celui de la déqualification.
Le monde du social est touché par une obsession illusoire venant du secteur industriel : celle du «zéro défaut». Le problème, c’est que dans le social, nous ne fabriquons pas des voitures mais que nous sommes et faisons avec des êtres humains. Les questions ne sont donc pas seulement compliquées. Elles sont complexes : les événements ne se déroulent pas de façon linéaire et une part nous échappera toujours.
Nos institutions sont fortement marquées par un rêve bureaucratique : toujours mieux maîtriser le risque, avec cet espoir fou qu’il disparaisse. Nous inventons des dispositifs et procédures, des chaînes dans lesquelles la traçabilité de l’information et des professionnels est recherchée. Nous décomposons en morceaux l’intervention dans une situation, avec un professionnel à chaque étape. Cette taylorisation du travail social se retrouve avec cette cellule départementale à transmission automatique : Le professionnel de terrain ramasse de l’information qu’il « pré-évalue » (Guide ministériel) et adresse à la cellule départementale : c’est dans ce lieu que l’information va être évaluée. Cette instance peut demander un complément d’informations et orienter l’action du ou des professionnels en contact avec les familles. Elle peut décider le signalement à l’autorité judiciaire.
Le systématisme de la transmission pour évaluation à la cellule entraîne une séparation entre la tête (la cellule) et les jambes (les professionnels de terrain et leurs encadrements). Or, dans notre dispositif, nous avons des professionnels de terrain et d’encadrement responsables et compétents en termes d’évaluation. En entamant un mouvement de déplacement du lieu de l’évaluation du terrain vers le cœur de l’institution, des professionnels en contact avec le public vers d’autres qui ne le sont pas, en faisant du systématique alors que ce sont des espaces d’autonomie créatrice dont nous avons besoin, nous poursuivons sur la voie de la déqualification dont les multiples procédures et guides dit de bonnes pratiques sont une des manifestations.
De plus, des professionnels qui sont dans l’application des procédures, ce sont des professionnels qui perdent le sens de leur travail. Des professionnels qui perdent le sens de leur travail, ce sont des professionnels qui s’épuisent et perdent de leurs compétences. Les cadres sont aussi touchés par ce phénomène.
Alors, pour terminer, quelles pistes ?
Se rappeler que l’objectif prioritaire, c’est la protection de l’enfance. Et que la confiance entre le travailleur social et l’enfant ou les parents est centrale.
Penser à prendre en compte les personnes, et pas seulement en charge.
Garder des espaces où la pensée d’équipe permet une intervention au plus juste.
L’institution doit avoir confiance en ses professionnels et encadrements de terrain, valoriser et favoriser leurs compétences et leur responsabilité.
Finalement, il suffirait d’un petit bout de phrase en fin de l’article L. 226-2-1 pour régler cette question : « Sauf intérêt contraire de l’enfant »
« Les personnes qui mettent en oeuvre la politique de protection de l’enfance défi nie à l’article L. 112-3 ainsi que celles qui lui apportent leur concours transmettent sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné par lui, conformément à l’article L. 226-3, toute information préoccupante sur un mineur en danger ou risquant de l’être, au sens de l’article 375 du code civil, sauf intérêt contraire de l’enfant. »
Enfin, il est possible qu’en débutant mon intervention par une relativisation du cadre légal, j’ai choqué certains d’entre vous. Je finirai donc en les rassurant et en rappelant l’article L 112-4 créé par la loi du 5 mars 2007 : « L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. »
Cet article me semble suffire à justifier légalement la non-transmission automatique d’informations à la cellule départementale.
Aux partenaires d’ajouter ce point dans leurs protocoles départementaux de partage d’informations !
Annexes
Article L112-3
(inséré par Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 1 I Journal Officiel du 6 mars 2007)
La protection de l'enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives, d'accompagner les familles et d'assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs. Elle comporte à cet effet un ensemble d'interventions en faveur de ceux-ci et de leurs parents. Ces interventions peuvent également être destinées à des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. La protection de l'enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d'assurer leur prise en charge.
Article L112-4
(inséré par Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 1 I Journal Officiel du 6 mars 2007)
L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant.
Article L226-2-2
(inséré par Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 15 Journal Officiel du 6 mars 2007)
Par exception à l'article 226-13 du code pénal, les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en oeuvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l'intérêt de l'enfant.
Article L221-6
Toute personne participant aux missions du service de l'aide sociale à l'enfance est tenue au secret professionnel sous les peines et dans les conditions prévues par les articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
Elle est tenue de transmettre sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné par lui toute information nécessaire pour déterminer les mesures dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier, et notamment toute information sur les situations de mineurs susceptibles de relever du chapitre VI du présent titre.
L'article 226-13 du code pénal n'est pas applicable aux personnes qui transmettent des informations dans les conditions prévues par l'alinéa précédent ou dans les conditions prévues par l'article L. 221-3 du présent code.
Article L226-2-1
(inséré par Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 12 1º Journal Officiel du 6 mars 2007)
Sans préjudice des dispositions du II de l'article L. 226-4, les personnes qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ainsi que celles qui lui apportent leur concours transmettent sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné par lui, conformément à l'article L. 226-3, toute information préoccupante sur un mineur en danger ou risquant de l'être, au sens de l'article 375 du code civil. Lorsque cette information est couverte par le secret professionnel, sa transmission est assurée dans le respect de l'article L. 226-2-2 du présent code. Cette transmission a pour but de permettre d'évaluer la situation du mineur et de déterminer les actions de protection et d'aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier. Sauf intérêt contraire de l'enfant, le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale ou le tuteur sont préalablement informés de cette transmission, selon des modalités adaptées.
Article L226-3
(Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 3, art. 12 Journal Officiel du 6 mars 2007)
Le président du conseil général est chargé du recueil, du traitement et de l'évaluation, à tout moment et quelle qu'en soit l'origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être. Le représentant de l'Etat et l'autorité judiciaire lui apportent leur concours.
Des protocoles sont établis à cette fin entre le président du conseil général, le représentant de l'Etat dans le département, les partenaires institutionnels concernés et l'autorité judiciaire en vue de centraliser le recueil des informations préoccupantes au sein d'une cellule de recueil, de traitement et d'évaluation de ces informations.
Après évaluation, les informations individuelles font, si nécessaire, l'objet d'un signalement à l'autorité judiciaire.
Les services publics, ainsi que les établissements publics et privés susceptibles de connaître des situations de mineurs en danger ou qui risquent de l'être, participent au dispositif départemental. Le président du conseil général peut requérir la collaboration d'associations concourant à la protection de l'enfance.
Les informations mentionnées au premier alinéa ne peuvent être collectées, conservées et utilisées que pour assurer les missions prévues au 5º de l'article L. 221-1. Elles sont transmises sous forme anonyme à l'observatoire départemental de la protection de l'enfance prévu à l'article L. 226-3-1 et à l'Observatoire national de l'enfance en danger prévu à l'article L. 226-6. La nature et les modalités de transmission de ces informations sont fixées par décret.
Article L221-1
(Loi nº 2002-2 du 2 janvier 2002 art. 75 I 2º, art. 82 Journal Officiel du 3 janvier 2002)
(Loi nº 2007-293 du 5 mars 2007 art. 3 1º Journal Officiel du 6 mars 2007)
Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes :
1º Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ;
2º Organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d'inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l'insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles, notamment celles visées au 2º de l'article L. 121-2 ;
3º Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1º du présent article ;
4º Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal ;
5º Mener, notamment à l'occasion de l'ensemble de ces interventions, des actions de prévention des situations de danger à l'égard des mineurs et, sans préjudice des compétences de l'autorité judiciaire, organiser le recueil et la transmission, dans les conditions prévues à l'article L. 226-3, des informations préoccupantes relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l'être ou dont l'éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l'être, et participer à leur protection ;
6º Veiller à ce que les liens d'attachement noués par l'enfant avec d'autres personnes que ses parents soient maintenus, voire développés, dans son intérêt supérieur.
Pour l'accomplissement de ses missions, et sans préjudice de ses responsabilités vis-à-vis des enfants qui lui sont confiés, le service de l'aide sociale à l'enfance peut faire appel à des organismes publics ou privés habilités dans les conditions prévues aux articles L. 313-8, L. 313-8-1 et L. 313-9 ou à des personnes physiques.
Le service contrôle les personnes physiques ou morales à qui il a confié des mineurs, en vue de s'assurer des conditions matérielles et morales de leur placement.