Association nationale des assistants de service social

Envoyer à un ami
Version imprimable
Partager

Texte de l’intervention de Joran LE GALL à la table ronde sur la protection de l’enfance au Sénat le 11 mars 2022


L’ANAS a été invitée par Xavier IACOVELLI à une table ronde le 11 mars 2022 sur la protection de l’enfance et plus particulièrement sur le sujet des solutions à la crise des métiers de l’humain. L’intervention, préparée par Christophe ANCHÉ, Isabelle BOISARD et Joran LE GALL, a été présentée par Joran LE GALL lors d'un événement hybride, à la fois en présentiel et en visioconférence. Le texte qui suit est celui qui a été préparé, il diffère donc quelque peu de celui qui a été prononcé mais il nous a semblé essentiel de le partager publiquement afin de nourrir le débat sur le sujet.



Bonjour à toutes et à tous, merci à vous pour votre présence ainsi qu’à Xavier IACOVELLI pour cette invitation.

Je suis Joran LE GALL, Assistant de service social en exercice et également président de l'Association nationale des assistants de service social, que l'on appelle souvent l'ANAS.

Depuis sa création en 1944, l'ANAS est le réseau de référence des professionnels assistants de service social. Il s'agit d'une association de professionnels en exercice qui se regroupent sur du temps bénévole pour réfléchir aux questions que pose le travail social en général et le service social en particulier.

Nous représentons les professionnels dans des instances nationales telles que le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), la Conférence nationale de santé (CNS) et le Haut conseil du travail social (HCTS).

Pour aller vers la question d'aujourd'hui relative aux causes et aux réponses possibles à la crise de métiers, j'ai choisi quatre points que j'ai rassemblés et qui me semblent essentiels pour résumer le sujet du malaise, des malaises même, des professions du travail social qui reste bien évidemment bien plus complexe.

Pour introduire et illustrer mon propos, je vais vous parler de la fatigue que j’éprouve dans ma propre pratique professionnelle actuelle et du fait que je remplace des collègues depuis juillet 2021. J’accompagne près de 120 personnes dans l’année et à ce jour, une personne qui prend rendez-vous doit attendre environ un mois pour que je puisse la voir. Voici ma réalité de travail actuellement et ce n’est pas admissible. Il faut donc en faire quelque chose.

La première de ces difficultés, c’est l'abandon du terrain par les grandes institutions publiques et de sécurité sociale en charge des politiques sociales et familiales. Le manque d'interlocuteurs qui font face aux personnes et les aident à s'orienter face à leurs problèmes est criant et cette situation ne cesse de se dégrader. Car le recul des services publics, des points d’accueil, des guichets, amène les personnes à s’adresser à des services sociaux pour accéder à leurs droits, par exemple la polyvalence de secteur. Cela abîme autant nos professions que la situation des personnes que de voir ce départ acté des institutions auquel il faut pallier. Alors bien sûr, les pratiques s'adaptent au quotidien chaque jour et pas seulement au gré des réformes, heureusement. Mais même si les professionnels savent s’adapter aux situations qu’ils et elles rencontrent, s'il n'y a plus personne autour, ce n'est pas le même travail d'accompagnement que l'on peut faire, surtout dans des situations très fragiles.

Donc, la première réponse à donner à ce problème serait de refaire société autour de services publics réellement présents qui puissent répondre présent face aux personnes en difficulté, les soutenir dans un réseau vertueux, un filet de sécurité issu des protections collectives.

Le deuxième point est que les valeurs du travail social sont sans doute en discordance avec celles de la société d'aujourd'hui. Travailler avec l'humain nécessite du temps alors que nous assistons à une société de l'urgence voire de la précipitation. Les objectifs du travail social sont clairs, la façon dont on chemine est aussi voire plus importante que l'objectif à atteindre. Il vaut mieux moins de chemin bien parcouru que beaucoup de chemin mal accompagné. En somme, la fin ne justifie pas les moyens. Preuve en est, les paroles de certains anciens enfants placés qui témoignent des belles rencontres qui les ont construites dans leur parcours et qui leur ont servi de point d'appui, y compris une fois dans leur vie d'adulte. 

Malgré ces expériences parfois positives qui devraient inspirer les pratiques, on en arrive trop souvent à ce que le contrôle prime sur l'action. Et pour les professionnels, la dégradation globale de la situation des services s'accompagne aujourd'hui du développement d’un management autoritaire sans grande considération pour le sens du travail et la dignité des personnes. Et on en arrive à ce que les professionnels, à qui l’on rappelle sans cesse qu’ils exercent par vocation, se voient de plus en plus contrôlés dans leurs tâches, infantilisés et privés d'autonomie dans leur accompagnement auprès des personnes.

Le troisième point, c’est tout ce qui touche à la formation. On n’arrête pas d’entendre qu’il faut réformer la formation initiale des professionnels. Mais on parle trop peu de celles et ceux qui travaillent déjà. D'abord, il faut embaucher des professionnels diplômés car dans de nombreux lieux, les professionnels diplômés se retrouvent à devenir les formateurs, les encadrants aussi parfois, d’autres professionnels en poste qui ne disposent que de peu de formation ou même d’aucune formation. Or, on ne peut pas à la fois travailler tout en étant les formateurs de ses collègues. Sans compter que de manière croissante dans le secteur, les chefs de service ou les directions ne sont pas issus de formations de travail social, c'est souvent ravageur. Les exemples des foyers où les professionnels ne sont pas formés sont un révélateur de ces situations. Car si on assiste à un mouvement de déqualification, cela n’est pas propice à l’amélioration de la qualité de l’accueil et de l’accompagnement.

Mais quand bien même les personnes seraient formées, il faut noter l’absence de soutien, de formation continue tout au long de la carrière, alors que cela est absolument nécessaire. Cela sert à la réactualisation des connaissances théoriques et clinique mais l'analyse des pratiques et la supervision sont également indispensables alors que trop souvent absentes. Parce que n'oublions pas que ce que l'on demande aux travailleurs du social, c'est de s'engager dans la relation humaine, c'est de mettre tout son être, leur être, en jeu dans la relation à l'autre. En résumé, un travailleur du social mal formé ou mal accompagné c'est un travailleur du social qui souffre.

Donc vous l’avez compris, une des solutions est la formation continue et l’analyse des pratiques et des techniques professionnelles ainsi que la supervision.

Mon quatrième et dernier point est une sorte d'approfondissement. Car le message que je veux partager avec vous aujourd’hui c'est que la solution de cette crise des métiers de l'humain, c'est une reconnaissance certes financière mais elle va au-delà.

L’une des difficultés des métiers de l'humain c'est que les professionnels sont souvent positionnés comme un accessoire à d'autres champs disciplinaires et qu'alors, le travail social a dû mal à trouver sa place. Donc la solution serait de soutenir le travail social en tant que champ disciplinaire autonome. 

Ce sont aussi des professions qui ont une légitime culture du secret, de la discrétion, de l'effacement au profit des personnes. Ce sont des métiers de l'humain où il faut accepter qu'il faut que nous parlions de nous, et que face à ça, on est démunis par ce que l’on a l’impression de ne pas savoir le faire. Peut-être que la difficulté est que l'on a pas de solution face à cela en dehors de prendre confiance en notre prise de parole et que d'une part, c'est ce qui honore la profession et ce qui nous rend réellement indispensables à nos concitoyens et que d'autre part, nous sommes amenés à nous effacer devant les choix des personnes. Et même si ça nous oblige à un travail sur nous-mêmes, je crois que c'est une bonne nouvelle parce qu'en fait peut-être que c'est ça, le travail social, un travail sur les autres mais avant tout sur soi-même.

Je vous remercie.

Lundi 14 Mars 2022




Notez

Déclarations de l'ANAS | Les avis de l'ANAS | Protection de l'enfance | Nous avons reçu... | International | Déontologie | Formation | Santé | Congrès - Colloques - Conférences | Publications et ouvrages | Le saviez-vous ? | Contentieux | HCTS