Association nationale des assistants de service social

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RFSS N°283 : "Quand le travail (même social) fait souffrir"





Le numéro peut bien sûr être commandé dans notre espace boutique !

Numéro coordonné par Corinne Le Bars

Stress, burn-out, manifestations de la souffrance du travail font l’objet de ce numéro. Son objectif est de cerner cette souffrance et de donner des exemples d’interventions constructives dans ce contexte. Le questionnement porte notamment sur les facteurs de risques, la reconnaissance officielle du burn-out comme maladie professionnelle et le rôle que peuvent jouer les travailleurs sociaux. Après un hommage rendu à une travailleuse sociale tuée par un client dans l’exercice de ses fonctions, des réponses sont apportées à cette problématique, que le numéro subdivise en trois parties.

La première partie met en relief le rôle parfois néfaste, consciemment ou inconsciemment, des institutions, des managers, devant répondre à des objectifs de rentabilité mais sans toujours tenir compte des salariés. Il est constaté une dégradation de cette situation, que la crise sanitaire a encore accentuée. Et, malgré les tentatives d’un certain nombre d’élus, en France et en Europe, cette pathologie n’est toujours pas inscrite dans le tableau des Maladies professionnelles.

La deuxième partie reflète « les réalités du terrain » : s’appuyant sur des faits et des enquêtes sociologiques, elle décrit des comportements addictifs, voire des passages à l’acte suicidaire qui laissent à réfléchir. Cet épuisement professionnel exige des victimes une analyse de leur situation et une reconstruction, et particulièrement chez ceux qui ont perdu leur emploi. L’accompagnement individuel et le travail de groupe, comme celui initié par une CARSAT, s’avèrent complémentaires. Tout comme le rôle du pair-aidant, présenté comme expert de cette thématique par son vécu.

La troisième partie donne des exemples d’interventions innovantes mettant en exergue l’intérêt d’entretiens spécifiques, la disponibilité, l’écoute et la régulation des désaccords. Et dans lesquelles le collectif se révèle être un réel outil méthodologique de reconstruction mais aussi de prévention des risques psychosociaux tout particulièrement lorsqu’il mobilise des managers de proximité. L’action du service social de l’assurance maladie concrétise ce besoin de prévention. Enfin, le pouvoir-agir est une notion utile qui se développe à la lumière des neurosciences.
 
Editeur : Association Nationale des Assistants de Service Social
ISSN : 0297-0376
ISBN : 978-2-491063-10-8

Éditorial
 
Souffrir du travail, et non souffrir au travail. La nuance paraît superfétatoire mais elle ne l’est pas. Les travailleurs peuvent souffrir au travail parce qu’ils n’ont pas les compétences nécessaires pour exercer pleinement leurs fonctions. Pas le tempérament pour faire face aux exigences de la tâche. Pas la motivation pour s’adapter aux évolutions. Pas, pas assez, trop peu, les « burn-outés » ne se définissent pas ainsi. Ils sont au contraire tellement compétents qu’on pense toujours à eux pour les missions périlleuses. Telle- ment énergiques qu’on leur donne toujours plus de charge de travail. Telle- ment passionnés qu’on n’estime même pas nécessaire de leur prodiguer une quelconque reconnaissance. Alors, ils s’épuisent, redoublent d’efforts pour ne pas décevoir, cherchent à retrouver l’idéal du métier ailleurs pour supporter l’ici, espèrent en vain les signes de la satisfaction et de la gratitude dans le regard de l’autre, et s’épuisent encore.
 
Il y aurait, selon certaines sources [1], 3 millions de travailleurs en burn-out ou en risque de le devenir. Un problème de santé publique, donc. Comme le concept de résilience, apparu en sciences physiques, celui de burn-out a d’abord appartenu au monde de la technologie. En aéronautique, il est défini comme un « arrêt par suite d’épuisement du combustible ». En électricité, poser la question : « What caused the burn-out? » revient à demander : « Qu’est-ce qui a fait griller les circuits [2] ? » Brûlé, calciné, épuisé, telles sont les traductions du mot « burn-out » dans tous les domaines de l’industrie. Plus de carburant. Il a été gâché, gaspillé sans compter. Jusqu’à la dernière goutte. Personne n’a vu ou voulu voir que le moteur était déjà sur la réserve et ce, depuis longtemps.
 
Parmi ces millions de travailleurs, les secteurs sanitaire et social sont particulièrement touchés : les professionnels de santé sont trois fois plus concernés par les arrêts de travail que les autres salariés ; les personnels sanitaires et de l’action sociale regroupent à eux seuls 20 % des affections psychiques, et totalisent le plus grand nombre de suicides [3].
 
Pourquoi ? Probablement parce que le burn-out est « la maladie des battants [4] », et c’est bien d’ailleurs ce que l’on reproche aux travailleurs qui en sont affectés : leur inclination au « surengagement personnel » empêcherait même les autorités médicales, et les autorités tout court, de considérer le burn-out comme une maladie. Les mêmes qualités qui ont rendu service à tout le monde durant des années deviennent des défauts au moment où il est question de reconnaître le préjudice engendré par tant de pression et si peu d’attentions.
 
Pour attirer l’attention sur la place importante qu’occupent les métiers de l’aide et du soin dans les statistiques de la souffrance par le travail, la première partie du dossier, composée de quatre articles, entre dans le vif du sujet par la colère, celle d’un ancien directeur d’établissement social qui met en garde contre l’enthousiasme immodéré ou le haut niveau d’exigence du manager, conduisant parfois ses salariés à l’épuisement. Elle se poursuit en élargissant la réflexion aux violences réelles ou symboliques émanant des usagers ou des collègues fréquentant les institutions, qui, en dépit de leur caractère tabou, commencent à faire parler d’elles. Puis, elle décrit, à partir de l’expérience d’une assistante de service social du travail expérimentée, la vertigineuse montée du phénomène et l’arrivée en nombre sans cesse croissant de situations très dégradées dans les bureaux et les cabinets, alertant sur la nécessité d’une prévention primaire. Malgré tous ces constats, les politiques peinent à faire reconnaître le burn-out en tant que maladie professionnelle, que ce soit nationalement ou internationalement, ce qui ajoute de la violence à la violence, de la douleur à la douleur.
 
La deuxième partie s’attache, à travers cinq articles, au vécu des victimes du burn-out, cette expression d’origine anglaise qui désigne le « souffrir du travail » dans son paroxysme. Après avoir évoqué l’évolution des situations et de leurs effets, le premier article rappelle combien, depuis les années 2000, les suicides ont été légion, mais il raconte aussi le « dopage » des salariés, qui consomment parfois des combustibles licites ou illicites pour remplacer celui que leur moteur interne a déjà fini de consumer. Une première enquête décrit ensuite le changement inéluctable du rapport au travail des personnes blessées, ainsi que leur lente reconstruction identitaire malgré une méthode conçue spécifiquement pour elles. Une deuxième enquête montre comment le chômage peut parfois occasionner un second burn-out, lorsque les personnes concernées ont malgré tout dû renoncer à leur emploi, et confirme que le retour au travail peut s’avérer très difficile. Pour y parvenir néanmoins, selon l’article suivant, les victimes peuvent trouver la voie de la pair-aidance en vue de reprendre une place dans l’entreprise, ou peuvent en sortir pour créer une association destinée à venir en aide à leurs semblables, comme l’ont fait trois patientes expertes après avoir écrit un livre de témoignages remarqué.
 
La troisième et dernière partie du dossier propose quatre articles émanant d’acteurs de terrain, et autant d’éléments de solutions. C’est le cas de deux assistants sociaux du travail qui nous rapportent les observations les ayant amenés à revisiter leurs pratiques au sein de l’entreprise, auprès soit des travailleurs en souffrance eux-mêmes, soit des managers. Une fois la rupture consommée avec l’emploi, il revient à des assistantes de service social comme celles de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) Normandie de présenter les interventions d’aide à la personne et celles, plus rares mais tout aussi précieuses, d’intérêt collectif qu’elles proposent à des assurés sociaux en arrêt de travail prolongé pour cause de burn-out. Enfin, un intervenant issu d’un champ quelque peu ébouriffant pour nous, travailleurs sociaux, donne à voir une action originale transposée à d’autres milieux de travail.
 
Une fois n’est pas coutume, le dossier thématique est introduit par un hommage. Il n’était pas envisageable une seule seconde qu’un numéro dédié à un tel sujet fasse l’impasse sur le meurtre d’Audrey, notre collègue conseillère en économie sociale familiale abattue d’un coup de fusil par un usager qu’elle venait pourtant aider. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », écrit Jean de La Fontaine dans Les animaux malades de la peste. Cette célèbre citation est choisie pour titre par Marie Pezé dans un ouvrage [5] où elle raconte ses consultations « Souffrance et travail » qu’elle assure à Nanterre depuis 1974. J’ignore si Audrey souffrait de son travail, mais ce dont je suis sûre, c’est qu’elle en est morte. Dans l’indifférence des médias et la discrétion des politiques, au moment même où les meurtres de policiers, tout autant inacceptables bien entendu, faisaient la une de la presse entière. Une seconde mort. Sociale, celle-là. Il aurait été inconcevable d’ajouter du silence au silence.

Corinne Le Bars

1. Samuel Chalom, « Reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle ? L’Assemblée dit non », Capital, 1er février 2018. Disponible sur : www.capital.fr/votre-carriere/reconnaitre-le-burn- out-comme-maladie-professionnelle-lassemblee-dit-non-1269654.
2. TechDico en ligne sur : fr.techdico.com/traduction/anglais-francais/burn+out.html.
3. « Le secteur médico-social concentre 20 % des affections psychiques », Chorum, 14 février 2018. Disponible sur : chorum.fr/actualite/le-secteur-medico-social-concentre-20-des-affections- psychiques.
4. Destraz Camille, Le burn-out, la maladie des battants, Bilan, 26 mars 2015. Disponible sur : https://bilan.ch/entreprises/le_burnout_la_maladie_des_battants.
5. Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Flammarion, 2010.

BIBLIOGRAPHIE
 
Pezé M., Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Flammarion, 2010.
 
 
ABSTRACTS
 
When work (even social) causes suffering
 
Stress, burn out, manifestations of suffering from work are the subject of this journal. Its objective is to identify this distress and to give examples of constructive interventions in this context. The questioning concerns in particular on risk factors, the official recognition of burn out as a professional disease and the role can play social worker.
 
After the homage of the social worker killed by a client in the exercise of her functions, some answers are given to this problem. This journal subdivided into three parties.
 
The first part highlights the role sometimes harmful, consciously or unconsciously, of the institutions, managers having to join the objectives of profit without always taking employees into account. It is noted a deterioration of this situation, that the health crisis has further accentuated. Despite the attempts of certain number of elected officials, in France and Europe, this pathology is still not listed as a professional disease.
 
The second part reflect “the reality of the field” based on the facts and sociological surveys, it described addicted behaviour, even suicidal acts that make us think.
 
This professional burn out requires from victims an analysis of their situation, and a reconstruction, particularly among these who lost their jobs. Individual support, group work like the one initiated by a CARSAT, are complementary. Just like the role of the peer caregiver presented as an expert on this topic because of his experience.

The third part of the journal gives examples of innovative interventions highlighting the interest of specific interviews, where availability, listening and regulation agreements are presented. The collective turns out to be a real methodological tool for reconstruction but also preventive for psychosocial risks, especially when local managers are involved. The action of social services of the health insurance realises the need for prevention. Finally, empowerment is the useful notion that is being developed in the light of neurosciences.

Sommaire
 
DOSSIER : QUAND LE TRAVAIL (MÊME SOCIAL) FAIT SOUFFRIR
 
- Éditorial
Corinne Le Bars
 
HOMMAGE

- Mourir du travail
Corinne Le Bars
 
PREMIÈRE PARTIE : BURN-OUT, LES RAISONS DE LA COLÈRE
 
- Billet d’humeur d’un ancien employeur
Marc Campeggi

- Aux origines de la souffrance au travail : les violences institutionnelles
Nathalie Baqué, Ludwig Maquet

- Des situations de souffrance au travail de plus en plus dégradées
Véronique Barré

- Reconnaissance du burn-out : entre timides avancées et fausses joies
Corinne Le Bars, Laurence Dumont
 
DEUXIÈME PARTIE : TENIR, RENONCER, REBONDIR

- Suicides et conduites addictives au travail
Mathieu Fortineau

- Le burn-out, un chagrin d’honneur qui blesse à vie
Sabine Bataille

- Le burn-out vu du chômage
Éric Hamraoui, Dominique Lhuilier, Katherine Portsmouth, Anne-Marie Waser

- De l’expérience de la souffrance au travail à la pair-aidance
Philomène-Nicole Eyene

- Du hurlement intérieur silencieux à la prise de parole
Association Les PEST : Anne-Marie, Aude, Laurence
 
TROISIÈME PARTIE : PRATIQUES INNOVANTES

- De l’écoute de la souffrance à l’outillage des personnes
Corine Meunier-Rimet

- Managers de proximité, construction d’un collectif et prévention des risques psychosociaux
Guillaume Sobczak

- Quand le service social de l’assurance maladie prévient la désinsertion professionnelle
Marie-Paule Delacroix, Véronique Fauvel, Maggy Héricy-Asselin, Yveline Lecouvey, Nadine Pothier

- SOS surcharge mentale
Olivier Bataillard
 
COMMUNICATIONS

- Les écoles de service social dans l’entre-deux-guerres : les véritables pionnières de la formation en alternance
Patrick Lechaux
 
- Les éducateurs de jeunes enfants, des acteurs du travail social qui s’ignorent ?
Lucie Benoist
 
PAROLES D’ASSISTANT·E·S DE SERVICE SOCIAL (ASS)

- Accueillir les personnes transgenres en service social
Émilie Kléa Sinnig
 
VIE DE L’ANAS

- Nous avons lu
- Nous y étions



 
tap_rfss283.pdf TAP_RFSS283.pdf  (2.51 Mo)

Mercredi 29 Décembre 2021




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