Association nationale des assistants de service social

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Pallier au manque de stage... ou sacrifier une professionnalisation de qualité ?


C’est dans le contexte des Etats Généraux du travail social, initiés en 2013 et qui n’ont pas abouti, du rapport de la CPC qui propose une refonte radicale des formations du travail social, avec la disparition des métiers historiques ( ASS, CESF, EJE, ES) et des discours contradictoires provenant du Ministère notamment lors des consultations des syndicats et des associations professionnelles assurées par Madame Bourguignon, que le ministère promulgue une Instruction Interministérielle…

Mais de quoi s’agit-il ?



Pallier au manque de stage... ou sacrifier une professionnalisation de qualité ?
Le stage est au cœur du processus de professionnalisation, dans l’ensemble des formations en travail social, au même titre que les différents apports travaillés en institut de formation.
Depuis déjà plusieurs années, nous sommes alertés par la difficulté pour les étudiants de trouver un stage. La surcharge des missions des professionnels notamment ASS, la non-reconnaissance de leurs compétences en tant que formateurs terrain par leur employeur, la réticence de ces derniers parfois, sont autant de freins à l’accueil de stagiaires. La mise en place de la gratification, qui s’est généralisée avec la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013, dite loi Fioraso, n’a fait qu’aggraver la situation. En effet, elle a rendu obligatoire, à compter de la rentrée 2014, la gratification des stages de plus de 2 mois, pour tous les employeurs.
Cette problématique concernant les stages se situe dans le contexte de la « réflexion » sur la refonte de la formation et des diplômes du travail social. Cet élément n’est pas négligeable car les propositions qui sont faites à ce jour vont à notre sens, vers un risque important de déqualification.
 
Une mobilisation des associations professionnelles, des syndicats, des professionnels et des étudiants a abouti pour cette question des stages à une « INSTRUCTION INTERMINITERIELLE N°DGCS/SD4A/DGESIP/2015/102 du 31 mars 2015 relative au nouveau cadre réglementaire de mise en œuvre de l’alternance intégrative pour les formations diplômantes du travail social. »
 
Il s’agit donc de mettre en place l’alternance intégrative, dont on reconnaît dans le texte son efficacité[1] mais qu’il s’agit de faire évoluer….. S’en suit des recommandations pédagogiques et de « nouvelles pistes » de travail, en guise d’évolution…. Mais dans quel sens va cette évolution ?
 
Nous aurions pu espérer que ce texte vienne répondre aux difficultés liées à la mise en place des stages de plus de 2 mois, et en particulier à celles des institutions et associations du travail social à faire face à la gratification. Cet aspect financier n’est jamais abordé, et l’accueil limité de stagiaires qui en découle aussi n’est pas sans poser aussi problème.
 
Or l'enjeu de la formation en travail social, comme cela est rappelé, est bien la mise en œuvre de cette alternance intégrative[2]. Un des arguments, parmi les différentes  propositions, renvoie en effet à cette approche. Il semble nécessaire d’en faire une spécificité pour les formations en travail social.
 
En ce qui concerne la gratification des stages, l'ANAS s'est déjà positionnée. Il s’agirait de confier les fonds qui y sont consacrés à un organisme de gestion paritaire, (en lien avec les employeurs potentiels). Les stagiaires seraient ainsi rémunérés par ce groupe de gestion paritaire, puisque les fonds existent..... en tenant compte de la spécificité de ces formations... Il serait possible aussi d’étudier cette question pour en faire une dérogation sans pour autant léser les étudiants
 
Faute d'aborder cette question en lien avec le coût de la gratification, l’instruction interministérielle fait des propositions qu’elle légitime par un discours pédagogique autour de l’alternance intégrative et de la « formation » à la complexité. Sans suit des propositions qui se veulent innovantes :
 
  • Les stages pluri-institutionnels : cette proposition vient en fait détourner la loi, en morcelant les stages en périodes de moins de 2 mois, sans pour autant répondre au problème de la formation elle-même, et ce, sous couvert d’argument pédagogique « le travailleur social doit savoir se situer dans un environnement complexe…. (page 5 paragraphe II). Mais comment se situer si l’étudiant est nomade ? Il ne s’agit pas de mise en situation réelle, un professionnel travaille toujours à partir d’une institution et de missions précises. Cette disposition est contraire aux orientations des dernières réformes concernant la préparation aux diplômes en travail social. Il est mentionné, par exemple dans la circulaire de décembre 2008 concernant les ASS, que : « les stages professionnels…ont pour objectif de contribuer à la maturation professionnelle de l’étudiant, à la prise de conscience des responsabilités que ce métier implique. » Comment cette maturation peut elle se mettre en place avec des temps de stage de courte durée, dans différents lieux d’accueil ? Par ailleurs, pour pouvoir développer des acquisitions tant sur le plan de l’intervention individuelle auprès des personnes qu’en matière d’intervention sociale d’intérêt collectif, l’expérience montre que la durée du stage dans un même lieu d’accueil reste essentielle. La construction d’une intervention ne peut se faire que dans une démarche approfondie et une approche relationnelle de la personne et des groupes.
     
  • Les pistes, qui sont données n’ont rien de vraiment innovant, mais posent dans certains cas d’importants problèmes de mise en œuvre. Aborder la complexité ne veut pas dire pour autant être écartelé entre « plusieurs institutions d’appartenance »[3]. Cette situation positionne l’étudiant-stagiaire dans une posture particulière qui renvoie principalement au DC2[4] par exemple pour les ASS, c'est à dire la posture d’expert.… Si ce type de stage se généralise dans un parcours, (il n’y a aucune restriction énoncée), cette manière d’aborder la formation pose clairement la question de savoir quelles compétences sont visées et seront construites. Nous pouvons faire l’hypothèse que cette orientation peut éventuellement permettre de former des étudiants avec des compétences davantage en lien avec le travail de mémoire de pré-recherche au détriment de celles qui renvoient à la dimension clinique, c'est-à-dire à celles qui font le fondement du Travail Social, c'est à dire la relation à l’autre et qui oblige l’étudiant à s’impliquer.
     
  • Quant à la proposition de réaliser un projet collectif[5] , les centres de formation n’ont pas attendu ce texte pour expérimenter ce type de projet. Mais en général, il est soit déjà mis en œuvre sur le temps de formation en institut, soit il est intégré comme un objectif à réaliser en lien avec les autres actions mises en œuvre dans la période de stage, au sein d’un même site qualifiant.
    Ce travail de diagnostic ou de conception de projet ne vient pas remplacer une période de stage en tant que telle.
    De plus, il peut comporter un risque d’amalgame avec l’ISIC….Pour les ASS, et les CESF,  c’est un travail qui est obligatoire et qui rentre dans la certification…..
     
    Cette instruction interministérielle, au lieu de résoudre les problèmes rencontrés depuis plusieurs années en matière d’alternance, propose des solutions inadéquates et accentue la discrimination entre les étudiants. En effet, la question financière concernant la gratification n’est jamais abordée directement.
    Elle propose de fausses solutions à court terme, car certaines propositions étaient déjà dans les derniers textes des différentes réformes (pour les ASS, circulaire de 2005 modifiée par celle du 31 décembre 2008)
     
    Elle ouvre les vannes d’une « créativité » qui risque à terme, si elle se généralise de mettre à mal le processus de professionnalisation, notamment dans l’accompagnement des publics en difficulté….
    Elle donne bonne conscience aux différents acteurs impliqués, en les déresponsabilisant.
    Les recommandations[6] faites aux jurys, en fin de texte, interrogent : s’agit-il d’une injonction pour évaluer au rabais les compétences ? Dans ce cas, lesquelles ? S’il est important que les candidats au DE ne soient pas pénalisés par ces nouvelles dispositions, cette évaluation finale doit-elle s’effectuer au détriment de certaines compétences « cœur des métiers », comme la relation d’aide et l’approche clinique ?
     
    Enfin cette prise en compte de la professionnalisation principalement à partir des stages est une interprétation très restrictive de l’alternance intégrative ! Car l’enjeu de l’alternance c’est aussi l’accompagnement des étudiants vers la construction d’une véritable posture réflexive, gage de leur devenir. Cet accompagnement devrait être assuré en concertation et complémentarité entre formateurs terrain et formateur écoles. (voir note de bas de page n°6)
     
    Ces nouvelles dispositions sont donc une mauvaise adaptation aux difficultés du contexte, et elles mettent à mal le processus de professionnalisation des étudiants stagiaires, qui s’acquiert dans la durée. Elles ne donnent pas de moyens supplémentaires aux centres de formation et aux sites qualifiants pour œuvrer ensemble à des formations de qualité, afin de répondre au mieux aux besoins des publics concernés…..
     
    Sauf si cette instruction interministérielle préfigure le projet de la refonte des diplômes ! Elle va en effet dans le sens des propositions de la CPC de décembre 2014. Il s’agirait donc à terme de former des coordinateurs managers, voire des professionnels de l'ingénierie et non de l'intervention sociale et éducative..!
     
    Étonnant… puisqu’en février 2015, Ségolène Neuville déclarait que le rapport de la CPC sur la refonte des diplômes « allait trop loin », que le Secrétariat d’Etat affirmait ensuite que « ce n’était pas un projet de gouvernement » et que la députée Brigitte Bourguignon, mandatée en mars dernier par le premier ministre, devait entendre l’ensemble des acteurs afin de ré-examiner ce projet et formuler de nouvelles propositions en la matière…
     
     
     Le Conseil d’Administration de l’ANAS
 
[1] Page 6 paragraphe II

[2] La référence à l’étymologique, nous rappelle que le mot « alternance » a comme racine le mot « autre » du latin allius qui veut dire différent. D’où le mot altternus « un sur deux » qui donne aussi alternare et du latin vulgaire subalternus « à la disposition l’un de l’autre ». Dans ce sens on pourrait dire que la formation en alternance met en jeu 2 « choses différentes », la théorie et la pratique, et l’une est à la disposition de l’autre. Il ne peut s’agir en aucun cas d’une juxtaposition de temps de formation : puisque l’un et l’autre sont « à disposition l’un de l’autre ». Mais cette « mise à disposition » se fait à partir de l’articulation de 3 acteurs : le formateur école, le formateur terrain et l’étudiant lui-même. Il s’agit donc de développer entre les temps de théorie et les temps de pratique des espaces formatifs spécifiques, pour accompagner cette alternance qui permettra l’élaboration d’une posture réflexive de l’étudiant. C’est à partir de cette réflexivité que l’étudiant peut construire un discours sur les savoirs et les compétences en construction.
 
[3] Page 6 de l’instruction interministérielle : stages pluri-institutionnels

[4] Domaine de compétence 2 « Expertise sociale »

[5]Page 7 de l’instruction ministérielle: « …réalisation d’un diagnostic social de territoire, conception d’un projet de mise en réseau des acteurs, travail préparatoire à l’élaboration d’un projet de développement social, diagnostic de la gouvernance locale d’un dispositif… »
 
[6] « Il relève enfin de la responsabilité de chaque jury final de veiller à ce que cette situation ne porte pas préjudice aux candidats lors de la présentation à la certification final et d’assurer un traitement équitable de l’ensemble des étudiants concernés »


Retrouvez ci-dessous ce communiqué en version PDF ainsi que l'instruction ministérielle faisant l'objet de ce communiqué.




 

Lundi 29 Juin 2015




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