Association nationale des assistants de service social

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Avis technique ANAS sur le 1er rapport Benisti


L'ANAS a analysé le contenu du rapport sur la prévention de la délinquance remis au Ministre de l’intérieur par M. Jacques Alain Bénisti, Député du Val-de-Marne, Président de la Commission prévention du groupe d’études parlementaire sur la sécurité intérieure. Ce rapport propose d’utiliser les services sociaux en tant qu’acteurs de la prévention de la délinquance. En voici notre analyse



Avis technique ANAS sur le 1er rapport Benisti
Ce rapport très synthétique n’a pas pris la mesure des enjeux et des questions liées à la promotion de l’enfance et de l’adolescence et à sa protection. Il fait preuve d’une méconnaissance des actions menées sur le terrain par les travailleurs sociaux. Il ne fait jamais référence aux conditions objectives de vie susceptibles de favoriser le développement d’une certaine forme de délinquance : pauvreté, souffrances psychiques, violences familiales, frustrations liées aux manque d’argent, conditions d’habitat, perte du lien social... Tous ces éléments semblent ne pas exister ou du moins ne sont pas pris en compte. C’est pourquoi nous vous proposons une analyse technique de ce rapport en 3 points : l’analyse de l’introduction du rapport car celle ci annonce déjà les préconisations, puis dans un second temps notre analyse de « la courbe évolutive d’un jeune qui au fur et à mesure s’écarte du « droit chemin » pour s’enfoncer dans la délinquance » qui est un concept développé par ce rapport, enfin en dernier point viennent les propositions.


1- L’introduction :

Le rapport indique que la prévention doit sortir de « l’aspect simplement social et caritatif » pour cela précise le rapport « il faut agir très tôt car la fracture commence dès le primaire ».

L’annonce de l’augmentation des statistiques de la délinquance n’est appuyé sur aucun chiffre ni données objectives et comparées. Des quel type de délinquance parle-t-on ? comment est-elle définie et par qui ? existe-t-il une distinction entre acte délinquant, incivilité ou encore insécurité exprimée ? Rien de tout cela.

Il est précisé que « La politique de prévention doit remplir un objectif d’efficacité qui passe par le renforcement des échanges d’information entre les différents acteurs qui entourent les jeunes : les parents, le corps enseignant, les éducateurs, les élus locaux, la police… . »

Une réponse est donc donné sans que la problématique ait été posée ni même explicitée et cela dès l’introduction du texte. Cette réponse est une affirmation qui impose un partage d’information dans un objectif de surveillance des familles qui rencontrent des difficultés.

2éme réponse apportée avant même le moindre développement : « Il faut redéfinir la notion
de secret professionnel et créer une culture du secret partagé » .../... « Il s’agit plutôt de mieux exploiter les structures existantes en les faisant travailler ensemble autour d’un responsable de proximité, qui connaît sa commune../... le maire». Tout cela indique que selon les rapporteurs les structures existantes ne travaillent pas correctement ou suffisamment ensemble car le secret professionnel empêche l’échange d’informations et la coordination entre services.

Nos constats, nos réponses

- 1er élément : les affirmations révèlent une méconnaissance des pratiques professionnelles des travailleurs sociaux qui interviennent sur les quartiers et dans les communes. Les rapporteurs savent-ils que les professionnels de différents services se réunissent et travaillent sur des situations complexes et des problématiques identifiées ? Savent-ils que des professions différentes collaborent ensemble et le font parce que les finalités de leurs interventions sont elles aussi identifiées. (action éducative, aide à la personne et la famille, insertion professionnelle, soutien économique et aide à la gestion des budgets, etc... ) Leurs actions sont coordonnées par des cadres qui ont eux aussi des missions identifiées ( inspecteur aide sociale, responsable de circonscription, conseiller technique).

- 2ème élément Les rapporteurs ne semblent pas savoir que le secret professionnel n’empêche pas une forme de partage d’information entre professionnels centrés sur une même finalité : l’aide aux famille.

Pour autant, le partage de l’information ne peut s’engager dans une finalité de surveillance et de contrôle. La surveillance et le contrôle ne font pas partie des missions des travailleurs sociaux. Ils interviennent avec d’autres missions : l’aide, l’insertion sociale et professionnelle, le soutien de la parentalité et la protection de l’enfance et des personnes fragiles. Le contrôle est normalement assumé par des contrôleurs, comme par exemple dans les caisses d’allocation familiales avec un service spécifique. Alors que l’on a reproché aux fonctionnaires de police de « faire du social et de l’insertion et de la prévention » au détriment de la répression, il est illogique et contre productif que l’on demande aux travailleurs sociaux de suppléer les forces de police en s’engageant dans des actions de contrôle et de surveillance des familles.

- 3ème élément le secret professionnel n’est pas défini dans sa finalité : la protection de la vie privée des personnes aidées. Selon les rapporteurs ce secret serait uniquement un frein aux échanges d’informations. Le législateur a institué le secret professionnel notamment aux assistants de service social dans un objectif précis. Le secret professionnel garantit au citoyen la confidentialité des informations personnelles, voire intimes qu’il communique au travailleur social dans le cadre d’une intervention fondée sur la relation de confiance. Sans cette garantie apportée à la personne, la relation de confiance n’est plus possible . Un élu lui-même en difficulté familiale dont l’enfant « fait des bêtises » irait-il se confier auprès d’un professionnel tel un psychologue, s’il savait qu’ensuite son cas serait débattu lors d’une réunion réunissant une dizaine de personnes avec parmi eux des policiers mais aussi le maire de sa commune ?

- 4ème élément : Rappelons que tout processus de changement et d’évolution d’une personne ne peut s’engager sous la contrainte et sans que la personne concernée ait elle même conscience de sa situation et en désire le changement. Même avec cette volonté il faut aussi tenir compte de l’environnement social et des conditions objectives d’existence. Pour cela il faut nécessairement et systématiquement l’associer et agir avec son assentiment. Cet élément impose un positionnement professionnel spécifique, non jugeant, ni discriminant.



2. La « courbe évolutive d’un jeune qui au fur et à mesure s’écarte du « droit chemin » pour s’enfoncer dans la délinquance »

Cette courbe qui ne s’appuie apparemment sur aucun travail d’enquête ni de recherche sociologique a pour seule ambition de décrire une forme mécanique de parcours déviant tel qu’il est imaginé par les rapporteurs. Elle permet de justifier les mesures préconisées dont certaines semblent particulièrement inadaptées et inquiétantes au regard des valeurs qu’elles sous-tendent.

Ainsi le rapport indique : «Entre 1 et 3 ans : Seuls les parents, et en particulier la mère, ont un contact avec leurs enfants. Si ces derniers sont d’origine étrangère elles devront s’obliger à parler le Français dans leur foyer pour habituer les enfants à n’avoir que cette langue pour s’exprimer. »

Cette préconisation indique que les enfants issus de l’immigration sont particulièrement visés dès leur plus jeune âge. Avant même l’acquisition du langage il semble nécessaire d’agir pour éviter qu’il deviennent de futurs délinquants. Cette orientation est stigmatisante et discriminatoire.

Entre 4 et 6 ans, ce sont toujours les enfants issus de l’immigration qui sont prioritairement visés. Les actions proposées visent toujours à mettre en œuvre l’acquisition de la langue française. Les actions à engager sont pour le moins surprenantes : « L’enseignant devra alors en parler aux parents pour qu’au domicile, la seule langue parlée soit le français. Si cela persiste, l’institutrice devra alors passer le relais à un orthophoniste pour que l’enfant récupère immédiatement les moyens d’expression et de langage indispensables à son évolution scolaire et sociale. Les services d’assistance sociale seront prévenus de l’action proposée et devront suivre son déroulement. »

Les rapporteurs ne semblent pas avoir conscience que les orthophonistes sont des professionnels paramédicaux qui interviennent dans le cadre de soins et sur prescriptions médicales et non pas dans le cadre de soutien scolaire pour l’apprentissage du Français. Les services sociaux sont inscrits dans une logique de contrôle. Verra-t-on les travailleurs sociaux aller dans les familles pour vérifier que la seule langue parlée soit le français ? Enfin pense-t-on sérieusement qu’une mauvaise acquisition de la langue française est un signe de pré-délinquance ?

Et le rapport de poursuivre :

« Ces suivis sociaux réguliers devront aussi permettrent à l’enfant d’être élevé dans une atmosphère saine et avec les bases d’éducations attentives, fondées sur le respect et avec une autorité parentale affirmée. »

S’il est possible de souscrire au travail fondé sur le respect de l’autorité parentale affirmé, il est par contre assez surprenant de voir réapparaître des termes et des valeurs abandonnées depuis de nombreuses années. Ainsi une « atmosphère saine » au sein de la famille revoie aux principes hygiénistes du début du XIXème siècle. L’état de la recherche en sciences sociale a depuis longtemps démontré l’imprécision de ces termes avec toutes les dérives et interprétations auxquels ils sont sujets. Cette logique conduit à étudier les faits, leurs causes et leurs effets en les expliquant par l'histoire individuelle sans tenir compte du contexte dans le champ social et des conditions de vie des personnes concernées. Elle s’inscrit dans un déterminisme rigide illustré par le tableau proposé dans le rapport .

Entre 7 et 9 ans : Si rien n’a changé... C’est à dire si le comportement indiscipliné demeure, L’accompagnement et l’assistance vers les parents sera alors renforcée avec entre autres le suivi obligatoire de cours d’éducation civiques dispensés par les enseignants.

Entre 10 et 12 ans : Si les troubles persistent , arrive alors le placement dans une structure d’éducation renforcée avec toujours entre autres des cours d’instruction civiques mais cette fois ci « intenses »

Entre 13 et 15 ans, les rapporteurs prévoient aussi une mesure pour les jeunes qui n’ont pas bénéficié du dispositif de contrôle mis en place précédemment aux différents âges de la vie de l’enfant. Quel que soit le niveau scolaire, les faits délictueux passeraient devant une commission décidant d’une orientation vers un « centre d’éducation prioritaire ». dans les faits Le jeune devra quitter le milieu scolaire traditionnel et rentrer dans la filière d’apprentissage d’un métier dès la fin de l’école primaire.

La filière des métiers manuels ainsi promise à devenir un débouché important pour les enfants ayant posé un acte délictueux (ou susceptibles de le faire) ne sera certainement pas revalorisée de cette manière. Pourtant comme le préconise le rapport des points positifs sont mis en avant. Ainsi sur la scolarité : « ...Pour ce faire, l’un des premiers comportements à modifier sera d’arrêter de stigmatiser les enfants en échecs scolaires et leur donner une seconde chance en leur proposant un enseignement à la carte. Autres points positifs, le rapport demande que les métiers manuels soient revalorisés. Il souligne aussi l’intérêt des « maisons de l’enfant et/ou de parents » en citant l’exemple d’une maison des parents dans le Var.

« Au delà de 16 ans : des centres de délinquances adaptés au plus de 16 ans devront être mis en place avec des éducateurs professionnels. » Là aussi se posent la question des moyens et surtout de la définition et du contenu des « centres de délinquance adaptés ». S’agit-il des anciennes « maisons de correction », de centres éducatifs renforcés ou encore fermés ?



3. Les propositions des rapporteurs

On ne peut ignorer certaines propositions intéressantes dès lors qu’elles ont pour finalité l’aide et le soutien des familles. Mais il est aussi nécessaire d’expliquer ce qui est particulièrement inadapté voire même dangereux pour les libertés publiques


Les éléments qui apparaissent positifs

- Le fait de « Nommer un référent qui suive l’enfant tout au long de son parcours, puisse l’aider à surmonter ses difficultés et puisse saisir, si besoin, le comité de coordination, d’aide et de suivi. » peut effectivement permettre d’éviter des parcours chaotiques, parfois contradictoire, à la condition que les parents restent maître des décisions qui concernent leurs enfants. En effet la prévention s’opère avant la survenance d’actes délictueux. Nommer un référent sans l’accord des parents renforce la disqualification parentale. Les parents ont d’abord besoin d’être soutenu et renforcé dans leur autorité.

- La proposition « d’ impliquer financièrement les Conseils Généraux dans la mise en place d’une politique efficace de prévention » est pertinente dès lors qu’il s’agira dans ce domaine de mettre en œuvre des moyens supplémentaires notamment au bénéfice des services de PMI ( Protection Maternelle et Infantile)

- L’instauration d’un système d’évaluation des actions de prévention est déjà mise en œuvre dans certains conseils généraux. Encore faut-il définir le terme évaluation. L’évaluation n’est pas du même ressort que le contrôle.

- La proposition de mettre en place, dès la maternelle, des accompagnements périscolaires par les communes est intéressante mais pose aussi la question des moyens de leur mise en œuvre. Ces accompagnements ne devraient pas s’adresser qu’à une seule catégorie de population mais être un service ouvert à toute la population.

- « La mise en place d’une politique de prévention qui implique comme fondement de rappeler les valeurs républicaines et pédagogiques telles nos droits et nos devoirs vis à vis de la société, l’éducation partagée avec l’école… » Contrairement à ce que laisse supposer cette proposition, les enseignants agissent déjà dans cette logique.

- « La généralisation des expérimentations qui ont fait la preuve de leur efficacité. Telles les maisons des parents et les maisons de l’adolescence. »


Les éléments qui nous apparaissent négatifs

- Le fait de placer les maires au cœur de la nouvelle politique de prévention n’est pas sans risques. Celui-ci est déjà surinvesti de missions quant au bon développement de sa commune. De quel moyens disposera-t-il ? Pourra-t-il agir contre l’exclusion et la constitution de groupes de pression ? avec quels moyens ? Aura-t-il autorité sur les travailleurs sociaux qui sont déjà sous le contrôle indirect des conseillers généraux ? La politique de la ville a beaucoup souffert des clivages politiques. Il risque d’en être de même lors de l’élaboration d’actions de prévention qui pourront être financées de façon discrétionnaire sans coordination. Enfin le maire est aussi investi d’un pouvoir d’action au sein des établissements scolaires. En étant positionné sur tous les fronts le 1er magistrat d’une commune pourra-t-il raisonnablement faire face à tout ?

- Donner plus de pouvoir aux chefs d’établissements scolaires pour sanctionner l’absentéisme : la sanction pose la question de l’éducation par la contrainte. L’absentéisme n’est pas un acte anodin, tout comme l’exclusion d’un élève prononcée par un chef d’établissement. il est nécessaire d’en comprendre le sens dans chaque situation et évaluer les raisons objectives pour le jeune et mesurer les conséquences de la sanction qui dans la très grande majorité des situations ne résout rien et au contribue au contraire à renforcer la valeur « violence » dans un rapport de force qui va croissant.

- La réintroduction de la valeur du mérite pose la question de sa définition. A partir de quand est-on « méritant » ? qui définit cette valeur ? la politique du mérite renforce l’idée que la situation de chacun est conçue comme procédant strictement de choix individuels. Ce qui est faux. Elle n’hésite pas à soutenir que l’inégalité sociale est directement liée au mérite particulier de celui qui en bénéficie et aux insuffisances de celui qui la subit. Jusqu’où le mérite individuel peut-il masquer les inégalités sociales ?


Les éléments qui nous paraissent inacceptable :

- La redéfinition du secret professionnel : Il ne peut y avoir un secret professionnel « à géométrie variable » qui serait justifié dans certaines situations et ne le serait plus dans d’autres. Or cette remise en cause du secret professionnel :
- supprime la garantie apporté aux famille du respect de leur vie privée et de leur intimité.
- nuit à la construction d’une relation de confiance et fragilise les possibilités d’intervention des professionnels soumis auprès de la population la plus en difficulté qui n’osera plus se confier sans cette garantie
- Est antinomique avec un Etat de droit respectueux des libertés individuelles


- Les dispositions qui permettent toutes les dérives et les dénis de droit. S’il s’agit d’agir avant qu’un acte délictueux soit posé, sur quelle base juridique peut-on s’appuyer ? Le respect du droit ne doit pas être conditionné à la seule évaluation des acteurs sociaux.


- Les valeurs exprimées du « mérite » et de « comportement déviants » particulièrement stigmatisants notamment à l’égard d’une norme non définie.



En conclusion :

La tonalité de ce rapport fait apparaître des risques certains de mise en place d’un système de surveillance et de contrôle basé sur la défiance et la méfiance à l’égard des familles en difficulté, notamment celles qui sont issues de l’immigration.

Ler rapport ne tient à aucun moment compte des conditions objectives d’existences des personnes concernées. Ces conditions objectives n’étant pas citées, il n’y a pas lieu d’agir dessus. Seuls l’enfant et ses parents sont objets des mesures. En ce sens ce rapport est très réducteur. Il ne fait pas non plus état de la souffrance sociale exprimée par la jeunesse la plus en difficulté.

Le repérage et la volonté de systématiser certaines actions s’inscrit dans une vision comportementaliste de la réponse apportée. La thérapie comportementale estime que le symptôme est la maladie. Nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien et que les causes sociales et les conditions d’existence entrent pour une grande part dans l’émergence des incivilités et de la délinquance juvénile. La demande d’intervention de professionnels médicaux (pédopsychiatres) et paramédicaux (orthophoniste) renforcent l’idée qu’en agissant uniquement auprès de l’enfant, les « écarts de comportement » disparaîtront.

Certaines dispositions sont intéressantes dès lors qu’elles ne s’inscrivent pas dans une logique de contrôle et de surveillance mais dans une logique d’aide et de soutien à la parentalité.

Certaines valeurs morales exprimées apparaissent désuètes et inadaptées : familles méritantes, comportement déviants, atmosphère saine...

Enfin le modèle d’intervention comportemental renvoie la seule responsabilité de la délinquance au sujet : en l’occurrence l’enfant et sa famille qu’il s’agit de rééduquer au sens médical du terme.

Pour toutes ces raisons nous ne pouvons qu’exprimer nos plus profondes réserves à l’égard de ce rapport et demander une nouvelle fois que la parole des professionnels qui interviennent auprès des familles soient entendue et prise en compte.


Didier Dubasque
Pt. De l’ANAS

Lundi 14 Février 2005




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