Association nationale des assistants de service social

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Un décret confirme la dimension sécuritaire du dispositif des informations préoccupantes et de la transmission d’informations entre départements


Le décret n°2013-994 du 7 novembre 2013 organisant la transmission d’informations entre départements relance deux questions traitées par l’ANAS entre 2009 et 2012 : la définition de l’information préoccupante et la transmission d’informations entre départements en cas de déménagement d’une famille.



Un décret confirme la dimension sécuritaire du dispositif des informations préoccupantes et de la transmission d’informations entre départements
I-   Une définition légale de l’information préoccupante

L’article 1er du décret inscrit dans le Code de l’Action Sociale et des Familles (Article R226-2-2) une définition de l’information préoccupante :

« L'information préoccupante est une information transmise à la cellule départementale mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 pour alerter le président du conseil général sur la situation d'un mineur, bénéficiant ou non d'un accompagnement, pouvant laisser craindre que sa santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger ou en risque de l'être ou que les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ou en risque de l'être.
La finalité de cette transmission est d'évaluer la situation d'un mineur et de déterminer les actions de protection et d'aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier ».

 
Soulignons tout d’abord que l’ANAS avait insisté, en l’absence de définition légale, sur les conséquences négatives de ce vide(1) qui a pu entraîner une définition et une mise en œuvre très différentes d’un département à l’autre et qui entraînait le risque d’une construction jurisprudentielle de cette notion en se basant donc sur des faits divers tragiques.

Cette définition permet une base commune pour les professionnels et les institutions. En analysant cette définition, qui se rapproche de celle proposée dans le guide pratique du Ministère de la Santé et des Solidarités en 2007, nous en retirons deux points positifs. Le premier est qu’il en revient à la notion de danger telle qu’elle se définit dans le code civil. Le second est qu’il s’agit bien d’une information sur la situation d’un mineur (et non de tout élément d’information) dans l’objectif d’évaluer celle-ci et de déterminer les actions de protection et d’aide pouvant se mettre en place.
 
Toutefois, l’ANAS conserve des points de désaccord sur cette définition qui viennent traduire et refléter le fond du problème quant au dispositif de recueil et de traitement des informations préoccupantes :

-       La définition mentionne une information « pouvant laisser craindre que sa santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger…». Cette notion de crainte fait appel au registre de l’émotion comme critère de décision de transmission, comme nous l’avions déjà signalé en 2009. Mais cette idée de crainte n’est-elle pas au fond le moteur de ce dispositif qui part du principe qu’en sachant, détectant et suivant davantage les parents défaillants et au plus tôt, nous protégeons mieux ?

-       Cette définition ne correspond pas à la réalité des pratiques des professionnels de la protection de l’enfance. En effet, si un citoyen ou un professionnel n’exerçant pas une mission de protection de l’enfance (article L112-3 du CASF(2)) peut donner une information sans nécessairement procéder à une évaluation globale de la situation du mineur et se poser la question de sa marge de manœuvre et sa capacité d’intervention, il en est autrement pour les professionnels de la protection de l’enfance.

Les professionnels de la protection de l’enfance sont à même d’évaluer et intervenir par eux-mêmes dans un certain nombre de cas. Leur travail n’est d’ailleurs pas le suivi mais l’accompagnement du mineur et de ses parents autour d’objectifs concertés. C’est pour cette raison que la loi du 5 mars 2007 permet le partage d’informations à caractère secret entre les professionnels soumis au secret et concourant à la mission de protection de l’enfance(3). En conséquence, ces professionnels peuvent être amenés à transmettre une information préoccupante, non pas parce qu’ils sont inquiets ou préoccupés, mais parce que leur évaluation de la situation leur permet de se positionner en montrant que la situation du mineur comporte un danger ou un risque de danger et que leur intervention ne permet pas de répondre à ces difficultés.

 
Préconisations de l’ANAS aux professionnels de la protection de l’enfance

Rappelons l’article 1er de la loi du 5 mars 2007 : « L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant ».
Si nous partons de ce principe fondamental, il est très clair qu’un professionnel ne peut pas transmettre une information préoccupante sur le simple fait que les informations qu’il a recueilli représentent un danger ou un risque de danger pour un mineur.

Les éléments doivent faire l’objet d’une analyse rigoureuse, concertée entre les différents acteurs intervenant auprès du mineur. A partir de cette analyse, il est question de déterminer si les ressources que les professionnels peuvent mobiliser leur permettent, associées aux compétences des parents et du mineur selon son âge, d’agir et produire une amélioration satisfaisante du point de vue du danger encouru par l’enfant.

C’est une fois que les professionnels ont effectué ce travail qu’ils peuvent déterminer si la situation du mineur doit faire l’objet d’une information préoccupante. Il est important de mesurer les impacts négatifs d’une telle transmission en même temps que les bénéfices imaginés. En effet, la transmission d’une information préoccupante peut générer une défiance de la famille, une forme de stigmatisation et entraîner une rupture du lien. En ce sens, dans bien des situations, il est clair que la transmission d’une information préoccupante est la fin d’un processus d’intervention.
C’est dans cette dynamique et ces conditions que la transmission d’une information préoccupante par des professionnels de la protection de l’enfance peut se situer dans le respect de l’article 1er de la loi du 5 mars 2007 et donc dans l’intérêt de l’enfant.

 
II-   La transmission d’informations entre départements

La seconde partie du décret, et la plus conséquente, porte sur l’organisation de la transmission d’informations entre Conseils Généraux dans le cas où une famille, faisant l’objet d’une prestation d’aide sociale à l’enfance (hors aides financières), d’une mesure judiciaire ou d’une information préoccupante en cours de traitement ou d’évaluation, déménage dans un autre département.
Pour mémoire, cette transmission a été instaurée par la loi n°2012-301 du 5 mars 2012 qui modifie l’article L221-3 du CASF (4). L’ANAS s’était alors opposée en dénonçant une loi à dimension sécuritaire.

Ce décret définit la manière dont le Conseil Général du département d’origine doit organiser la transmission d’informations et dans quelles conditions. Il précise également quels documents doivent être transmis.
Il en ressort que les parents ou les représentants légaux du mineur doivent être a minima informés de la transmission et ceci que l’on soit dans le cas d’une information préoccupante, une prestation d’aide sociale à l’enfance ou une mesure judiciaire.
 
 
 Concernant les documents qui doivent être transmis (article R221-6 du CASF(5)), nous pouvons clairement dire que le conseil général « d’accueil » aura absolument tous les éléments écrits en possession des services de l’aide sociale à l’enfance concernant le mineur et sa famille.
 
Avis de l’ANAS

L’idéologie sécuritaire et la démarche suspicieuse à l’égard des parents est confirmée et concrètement mise en œuvre à travers ce décret.

Plusieurs points sont choquants et interrogent des valeurs fondamentales du travail social :

-       Toute information préoccupante en cours d’évaluation ou de traitement est transmise au département d’accueil. Il en est de même pour les prestations d’aide sociale à l’enfance à l’exception des aides financières.
Rappelons qu’en aucun cas une information préoccupante ne saurait être une situation avérée de danger ou de risque de danger pour un mineur. Combien de ces informations relèvent de conflits de voisinage ou règlements de compte entre ex-conjoints ? Pourquoi transmettre toutes ces informations ? Parce qu’on ne sait jamais ?
            Dans certains départements, près de 50% des informations préoccupantes ne sont     pas avérées comme telles. Les conséquences pour les enfants et les parents de ces     familles ne sont pas évaluées. Les erreurs d'appréciation sur la notion de risque et de     danger sont à prendre en compte avec précaution. En effet, il est aussi possible au   nom de la protection de l'enfance de traumatiser et d'abîmer les liens parentaux au            sein d'une famille alors que celle ci n'a rien à se reprocher. C'est pourquoi il apparait       nécessaire qu'un processus d'évaluation indépendant soit engagé quant aux résultats   de la mise en œuvre de ce décret et plus largement de la loi.
 
Il s’agit là d’une dérive extrêmement inquiétante de la protection de l’enfance qui vise davantage à ficher, suivre, surveiller plutôt qu’à protéger et agir réellement dans l’intérêt de l’enfant. Ajoutons qu’il s’agit tout de même de penser qu’une famille qui déménage est forcément suspecte et chercherait à échapper aux « services sociaux ». Mais qu’en est-il du respect de la liberté de circuler ? Les cas de familles qui déménageraient avec cette motivation sont à la marge au regard du nombre de familles accompagnées par les services des départements.
 
-       Il est essentiel de rappeler qu’il existe des moyens d’agir pour les institutions dans les cas de danger avéré où la famille quitte le département. Le président du Conseil Général peut saisir le Procureur de la République et/ou activer la procédure de signalement national.
Il apparaît essentiel de respecter l’idée que c’est bien l’existence d’un danger avéré qui peut permettre de passer outre la liberté des parents de déménager ou prendre certaines décisions concernant leur enfant et donc de l’autorité parentale. Cette loi et ce décret viennent remettre en question ce principe fondateur du dispositif de protection de l’enfance. 

-       Que sont devenues la prévention et la protection administrative ? Cette transmission d’informations entre départements interroge très clairement le fondement des prestations d’aide sociale à l’enfance : l’accord entre les parents et l’ASE. Il ne s’agit ainsi plus d’un droit pour les parents à être aidés dans les difficultés qu’ils rencontrent avec leur(s) enfant(s). Il s’agit d’une collaboration forcée sous peine d’être renvoyé devant un juge des enfants. Cette évolution était notable avec la loi du 5 mars 2007 mais ce décret vient en rajouter en demandant au Conseil général de transmettre tous les éléments au département d’accueil en cas de déménagement, et cela en dehors de tout critère de danger et sans obligation d’avoir l’accord écrit des parents. Si les parents refusent cette transmission, ils sont suspectés d’être défaillants, fuyants et cela justifie donc, selon le décret, l’envoi d’une information préoccupante au département d’accueil.
 
 
 
CONCLUSION

Ce décret confirme l’évolution sécuritaire de la protection de l’enfance dans une idéologie du risque zéro préjudiciable à l’efficacité de l’intervention des différents professionnels.

Nous appelons les professionnels et les institutions à des pratiques respectueuses de l’intérêt supérieur de l’enfant, des familles et de leurs droits et à ne surtout pas succomber face à la crainte perpétuelle du fait divers.

De plus, les véritables questions qui doivent être traitées dans le champ de la protection de l’enfance restent en l’état (moyens de la justice et de son administration, formation des professionnels, une véritable politique de prévention, etc.).

Nous rappelons que l’ANAS a formulé 5 propositions pour améliorer le système de protection de l’enfance qui peuvent répondre à certains enjeux actuels(6). Nous invitons les pouvoirs publics et les différents acteurs à s’en saisir :  


            1. Inscrire comme légale la possibilité de saisine directe du Défenseur des droits   « en cas de dysfonctionnements institutionnels durables et nuisant gravement à la protection des droits ou mettant en cause l'intérêt de l'enfant ». Nous défendons ce changement majeur depuis 2007. Aujourd'hui, nous proposons un texte« prêt-à-l'emploi » pour aller vers une . Simodification législative.
 
            2. Nous proposons de renforcer les moyens judiciaires d'évaluation des situations complexes. Le remplacement de l'Investigation à Orientation Educative et de l’enquête sociale par la Mesure Judiciaire d'Investigation Educative a constitué un affaiblissement de l'expertise dans des situations pourtant sensibles. Nous demandons donc une évaluation objective et globale de cette mesure, créée en vue d'une réduction de coûts et bien peu respectueuse de l'intérêt des enfants.
 
            3. Nous souhaitons que tant l’institution que le salarié soient obligés de s’inscrire dans un réel processus de formation continue, en interne comme en externe à l’institution. La réduction des moyens de formation, l'écart trop long entre deux temps de formation sont de plus sen plus fréquents. De la formation initiale à la formation continue, c'est un processus
garantie de formation tout au long de la vie professionnelle dont nous avons besoin.
 
            4. Le secret professionnel, facilement accusé de tous les maux, n'est pourtant pas un problème.
Ce qui l'est, c'est le trop-d'informations, la malinformation. D'où la proposition de travailler sur ces questions au sein des institutions. De plus, puisque le groupe est devenu un passage quasi-obligé, les dynamiques de groupe et les différents biais qui peuvent la parasiter sont essentiels à connaître et repérer pour favoriser une évaluation raisonnée. Nous
demandons là aussi que s'institue des travaux réguliers au sein des équipes sur ces questions.
 
 
            5. Enfin, dans l’objectif de mieux comprendre en cas de drame tel que celui de la petite Marina par exemple, nous proposons d’ouvrir un débat sur l’établissement d’un principe de non-sanction et de recherche compréhensive pour mieux apprendre. En effet, il nous apparaît important de « sécuriser la possibilité de la parole pour que nous soyons sûrs que les professionnels puissent s'exprimer sans crainte, non pas pour mettre en cause ou se mettre en cause, mais pour permettre de progresser si besoin. » Par ailleurs, il nous semble « nécessaire d'avoir recours à une autorité indépendante de l'institution concernée par une affaire dramatique pour en garantir la légitimité, se situant hors d'une logique pénale et intervenant dans un cadre sécurisé (d'où l'importance du principe de non-sanction à définir et inscrire dans les textes). »
 
 
Pour l’ANAS,
 
Antoine GUILLET
Vice-président



[1] Communiqué ANAS du 6 avril 2009, « Pour une définition opérationnelle de l’information préoccupante pour les professionnels de la protection de l’enfance ».  

[2] « La protection de l'enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives, d'accompagner les familles et d'assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs. Elle comporte à cet effet un ensemble d'interventions en faveur de ceux-ci et de leurs parents. Ces interventions peuvent également être destinées à des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. La protection de l'enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d'assurer leur prise en charge. »

[3] Article L226-2-2 du CASF : « Par exception à l'article 226-13 du code pénal, les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en oeuvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l'intérêt de l'enfant ».

[4] Lorsqu'une famille bénéficiaire d'une prestation d'aide sociale à l'enfance, hors aide financière, ou d'une mesure judiciaire de protection de l'enfance change de département à l'occasion d'un changement de domicile, le président du conseil général du département d'origine en informe le président du conseil général du département d'accueil et lui transmet, pour l'accomplissement de ses missions, les informations relatives au mineur et à la famille concernés. Il en va de même lorsque la famille est concernée par une information préoccupante en cours de traitement ou d'évaluation.
Les modalités de cette transmission d'informations sont définies par décret en Conseil d'Etat, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés

[5] Le président du conseil général du département d'origine transmet la copie des documents suivants au président du conseil général du département d'accueil, sous réserve des dispositions de l'article R. 221-7 :

1° Les informations recueillies par le département dans le cadre d'une information préoccupante ;

2° L'ensemble des décisions d'assistance éducative ou d'attribution de prestation administrative d'aide sociale à l'enfance ;

3° Le rapport d'évaluation prévu au quatrième alinéa de l'article L. 223-1 ;

4° Le rapport annuel de situation de l'enfant prévu à l'article L. 223-5 ;

5° Le rapport circonstancié prévu à l'article L. 221-4 ;

6° Le projet pour l'enfant prévu au cinquième alinéa de l'article L. 223-1.

Le président du conseil général d'origine peut, le cas échéant, transmettre tout autre document susceptible d'éclairer les spécificités de la situation du mineur.

II. ― Toutefois, dans le cas prévu au troisième alinéa de l'article L. 228-4 et si le juge des enfants du département d'accueil maintient l'exercice de la mesure d'assistance éducative sous la responsabilité du président du conseil général du département d'origine, seule une copie des documents suivants est transmise au président du conseil général du département d'accueil :

1° La décision d'assistance éducative en cours d'exécution ;

2° L'ensemble des documents permettant la prise en charge financière du mineur concerné.


Jeudi 28 Novembre 2013




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