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Réflexions et propositions du CSTS pour une réforme de la protection de l’enfance


Le Conseil Supérieur du Travail Social a été invité par Madame Fabienne Quiriaux, conseillère de Monsieur Philippe Bas, à apporter son expertise au Ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, à formuler ses avis et suggestions pour la future Loi-cadre de la protection de l’enfance permettant d’améliorer la cohérence du dispositif et les pratiques des professionnels de terrain. Il l’a fait lors de sa séance plénière du 10 février 2006.



AVIS du Conseil Supérieur de Travail Social

Réflexions et propositions du CSTS  pour une réforme de la protection de l’enfance
Tout d’abord, le CSTS a souhaité réaffirmer les principes fondamentaux qui doivent présider à toute loi de protection de l'enfance, avant de faire des propositions pour son amélioration et pour la mise en oeuvre.

I. PRÉALABLES ET PRINCIPES GÉNÉRAUX

En préalable, le CSTS a rappelé que deux écueils lui paraissent absolument nécessaires à éviter :
- Premier écueil : que la réforme de la protection de l’enfance ne soit « le cheval de Troie » de la loi de prévention de la délinquance. Le rapprochement est problématique aussi, il est utile de bien séparer les deux.
- Second écueil : que la question de la protection de l’enfance ne soit envisagée que sous l’angle du danger, de la prévention de la maltraitance et des risques physiques de l’enfant.

Afin d’éviter toute approche trop étroite ou trop cloisonnée, le CSTS a affirmé l’importance d’une approche globale et d’une réflexion sur la protection de l’enfance à partir de l’évolution de société, de la transformation de famille et en même temps de l’évolution du travail social et des formations sociales. Il rappelle que la question de fond est : Quel lien veut notre société avec sa jeunesse ? Quel projet politique doit y répondre ?

Réaffirmant l’importance de la solidarité de l’État à l’égard des personnes les plus vulnérables sur l’ensemble du territoire national, et le maintien de l’engagement de l’État, le CSTS postule que celui-ci doit garantir la protection et le droit des enfants, de façon globale, pluraliste et complémentaire. Ainsi, dans le projet de loi de rénovation de la protection de l’enfance, on ne peut pas dissocier la protection de l’éducation.

Le CSTS rappelle que la démarche éducative et préventive doit être la réponse privilégiée aux difficultés des familles et des jeunes. L’intérêt de l’enfant doit guider les actions et permettre de l’aider à définir son projet de vie. L’aide et le soutien sont à apporter aux parents - premiers éducateurs de l’enfant - dans leur mission d’éducation. Le dispositif de protection de l'enfance a vocation à les soutenir dans l'exercice de leurs responsabilités par les actions de prévention et d'accompagnement et doit rechercher l’équilibre entre la protection de l'enfant et le respect de l'exercice de l'autorité parentale. S’il y a manques ou défaillances, la suppléance est à mettre en oeuvre pour les combler sans se substituer totalement aux parents.

II. – LA RÉNOVATION DU DISPOSITIF

Pour penser de façon pertinente la rénovation du dispositif, il s’agit au préalable de définir ce que l’on entend par « intérêt de l’enfant », par les notions de « danger » et de « risque de danger ». Or, les nombreuses tentatives de définition données par les acteurs de la protection de l’enfance comme par les chercheurs, montrent que ces notions ne sont pas suffisamment stabilisées et qu’il y a nécessité de les clarifier afin qu’il y ait des concepts communs entre les différentes personnes qui ont à travailler ensemble. Sans compter qu’entre « enfant en danger » et « enfant en risque de danger » d’une part et entre « enfant maltraité » et « enfant en risque » d’autre part, il y a des chevauchements et des brouillages nuisibles à l’exécution des missions.

Une harmonisation de la terminologie des lois sur l’assistance éducative (Art. 375 du code civil) et sur l’aide éducative à domicile (CASF) avec celle relative à la prévention des mauvais traitements et la protection des enfants maltraités (loi de juillet 1989) serait souhaitable. Plus généralement, une harmonisation de l’ensemble des lois (sociales (éducation, justice..) est à rechercher.

De ces préalables découlent les propositions sur le dispositif.

Subsidiarité des acteurs et correction des excès de la judiciarisation de ce secteur ?

Le CSTS estime le terme subsidiarité très ambigu et ne le considère pas comme pertinent. Pour lui, le département comme la justice n’ont pas à avoir une primauté l’un sur l’autre mais sont nécessaires et complémentaires. Le principe de la séparation des pouvoirs entre la justice et l’exécutif doit être maintenu.

Le rôle des Conseils généraux s'inscrit dans les actions de prévention et de protection lorsque le risque encouru par l'enfant ne présente pas un caractère de gravité et/ou ne nécessite pas une protection immédiate de l'enfant. Le rôle de la justice intervient dans les cas de danger avérés.

Comme le souhaite le Ministre, il parait nécessaire de mettre plus de rationalité dans la répartition des missions : l’intervention judiciaire n’a pas à être systématique, avec le risque de juridiciarisation que cela entraîne. Cependant le juge n’a pas seulement un rôle pénal, mais assure le rôle de la garantie de l’État par rapport à la protection de l’enfant. En outre, le risque de judiciarisation trop forte s’explique surtout par une vision beaucoup plus pénalisante que protectrice. Il est regrettable que la société se situe de moins en moins dans une logique de protection de l’enfance et beaucoup plus dans une logique de recherche de pénalisation directe par rapport à la loi. Cela rejoint la tendance actuelle de la société qui promeut une responsabilité individuelle dans l’ensemble des difficultés sans que soit considérés les éléments contextuels et les éléments de politique générale.

En outre, le CSTS s’interroge sur le danger de faire jouer au Conseil général le rôle de juge et partie, à la fois payeur, décideur et opérateur. Il lui apparaît que les deux possibilités de saisine concernant la protection de l’enfance doivent être maintenues à niveau égal et que les deux champs de responsabilité doivent être respectés. Dissocier les pôles entraînerait chacun dans des choix, des propositions, des enjeux à défendre : la cohérence serait difficile. De plus, chaque département fait sa propre politique, et n’est pas tenu de garantir l’égalité de droits de tous les enfants sur tout le territoire français.

Par contre, il semble essentiel au CSTS de revoir les articulations entre les circuits de saisines possibles et d’assurer le suivi des saisines, dans l’intérêt du bien de l’enfant. Une organisation est à mettre en place entre la justice et le conseil général ; c’est dans l’articulation de ces deux logiques qu’il y a la garantie de la protection comme de la sanction. Plus encore, pour une meilleure articulation et complémentarité, il est nécessaire de penser la protection de l’enfance d’une autre manière que dans le cloisonnement des actions ministérielles, des institutions, de leurs services et des acteurs. Il importe de faire en sorte que puissent travailler ensemble, l’Éducation Nationale, l’action éducative et sociale et la Justice. Enfin, il est nécessaire que le projet de loi se pose la question : en quoi cette rénovation de la protection de l’enfance construit entre les acteurs une nouvelle confiance et non la défiance ? On ne fera pas d’inter-institutionnel et du décloisonnement sans cette construction de la confiance.

L’extension de la compétence du Département ?

Il est communément admis que le Département qui assure déjà les missions de PMI, d'action sociale, de protection de l'enfance, est l'acteur le plus légitime pour garantir la cohérence du dispositif de l'enfance au niveau local. Il est donc important que les moyens correspondants lui soient effectivement fournis.

Pour autant, le CSTS a la préoccupation que les autres acteurs soient associés, particulièrement les acteurs associatifs afin qu’ils aient toutes leurs voix et soient entendus, que ce soit par le biais d’instances générales telles que les conférences de consensus ou dans la mise en place de schémas, de protocoles locaux… Rappelons que l’histoire de la prévention est indissociable de celle des associations qui développent plus de 75 % des missions et actions socio-éducatives.

Il parait en effet important que la loi retraduise la richesse des intervenants, leur complémentarité, et les renforcent, ceci en tenant compte d’un certain nombre de textes existants en matière de compétence. Il parait donc nécessaire que la loi cadre précise leur rôle et procure une force juridique aux outils de concertation.

Le partage des informations entre professionnels et les modalités de ce partage

Le CSTS met en garde sur l’ambiguïté de l’expression « partage » des informations. Il souhaite qu’une distinction soit faite entre secret, partage des informations nominatives, partage des informations situationnelles et qu’il en découle une limitation d’usage. C’est toute la question de la nature de l’information, de la notion de partage, de l’objectif d’un tel partage qui est posée : il précise qu’il s’agit plutôt de transmissions de données administratives nécessaires lorsqu’elles conditionnent l’accès à un droit, et d’échanges d’indices, de symptômes et d’indications lorsque l’on apprécie des comportements.

Le CSTS rappelle que le secret partagé n’a pas d’assise légale et que le secret professionnel est gage de l’indispensable relation de confiance entre les parents et les intervenants de la protection de l’enfance.

La transmission d’informations nominatives risque de faire perdre cette nécessaire confiance et n’aide pas à la résolution des situations, notamment dans les cas de préventions situationnelles, contextuelles ou d’incivilités, qui elles, nécessitent des diagnostics territoriaux, des diagnostics généraux de situations de familles, dans un espace de vie donné… Ces informations situationnelles et contextuelles n’ont pas à être nominatives.

Seule, la loi oblige celui qui est tenu au secret professionnel à s’en délier, quand il y a effectivement une notion de danger (articles L 223-6 et 226-14 du code pénal et de l’article 221- 6 du code de l’Action Sociale des Familles). D’où l’intérêt de distinguer danger et risque et de se méfier de la notion de risque qui tend à se substituer à la notion de danger et peut conduire, par crainte de la faute, à l’excès de signalements.

C’est donc seulement le partage des informations en cas de danger qu’il faut admettre, préciser et contextualiser (cf. par exemple, l’article L 1110.4 alinéa 3 du code de santé publique qui stipule pour les équipes soignantes - et elles seules - qu’elles ont à partager des informations quand cela est nécessaire pour le traitement voire la survie du patient). La finalité du partage doit être contrôlée et explicitée. Il paraît important qu’il y ait des règles qui soient établies et qui protègent aussi bien l’intervenant que les usagers. Seul parait acceptable un partage d’informations nominatives organisé dans un cadre institutionnel précis, où l'appartenance et la qualification professionnelles sont des conditions nécessaires, de même qu’il est indispensable d’agir dans un objectif limité à la protection de l'enfance ainsi que dans le respect de la vie privé du citoyen. Par exemple, certains proposent que l’information partagée concerne les acteurs membres de la cellule départementale de signalement.

En conclusion, le CSTS considère que le secret professionnel doit être maintenu dans le cadre défini par l’article 226.13 du code pénal, et qu’en matière de protection de l’enfance, le maire n’a pas à être informé par principe, mais doit rester un recours conservant une certaine distance pour traiter de situations délicates où se mêlent vie privée et ordre public selon ses pouvoirs propres.

Dans tous les cas, l'adaptation éventuelle du cadre légal du partage d’information doit être équilibrée par un renforcement de l'effectivité des droits des usagers et par la systématisation de l'information sur leurs droits.
La clarification de la procédure de signalement

Le CSTS souhaite que soient garanties la vigilance et l’évaluation des situations des enfants par la possibilité pour chaque acteur - et notamment les acteurs associatifs -, de bénéficier de rencontre dans le cadre de cellules d’analyse de situation et de la mise en place d’une cellule départementale de signalement bien identifiée afin d’être connue de toutes les institutions ayant affaire aux mineurs. Les signalements en cas de risque ou de danger avéré pourraient effectivement y être évalués, centralisés. Cette disposition doit cependant se mettre en place
sans préjudice des éléments de l’article 375 du code civil qui stipule que l’autorité judiciaire peut également être saisie à la requête des père, mère, responsable légal et par le mineur luimême.

Ont été évoqués lors de la séance du CSTS, la construction de protocole avec un cadre, la mise en place des paliers de responsabilité en lien avec les événements, l’élaboration de règles de conduite, l’accompagnement des salariés en difficulté… Toutefois, le CSTS rappelle que le travail des acteurs de la protection de l’enfance ne peut être enfermé dans des procédures rigides et implique nécessairement une prise de risque, si on veut qu’il s’effectue dans l’intérêt premier des enfants. Ce qui implique que soit évalué au plus près, pour chaque situation de danger, si le recours au judiciaire sera plus opérant que le suivi dans un autre cadre. Il faut une cohérence
entre les textes, une cohérence entre les services de l’État, une cohérence entre les pratiques.

III – LES PRATIQUES ET LES INNOVATIONS

Renouvellement de l’approche et de l’intervention ; points à améliorer.

Le CSTS rappelle qu’il est important de conforter l’effort des acteurs pour des pratiques cohérentes, qu’il est nécessaire de revaloriser le rôle de chacun, de leur donner des conditions de travail leur permettant un temps de travail fécond et suffisant auprès des familles. La prévention spécialisée, les actions de soutien à la parentalité, la prévention précoce de la protection maternelle et infantile, l’aide éducative à domicile, l’accueil dans les structures collectives, les familles d’accueil sont à consolider. Car la réponse éducative est le fondement
des actions de protection et d’accueil.

Cependant, il rappelle que bien des difficultés entravent les interventions. Un des principaux problèmes des pratiques en matière de protection de l’enfance est la très grave insuffisance des moyens. La prévention primaire s’est beaucoup réduite. Les services de proximité auprès des mineurs et de leurs familles (la PMI, les services sociaux de secteur, scolaires, les consultations médicales et psychologiques…), les services de protection de
l’enfance proprement dit (AEMO judiciaire, aide éducative à domicile), les CHRS qui accueillent des familles avec enfants, des femmes seules avec enfants, pères avec enfants ou couples avec enfants, tous manquent gravement de personnels et font l’objet de restrictions budgétaires assez importantes. Les Consultations médico-psycho-pédagogiques (CMPP) et les centres médico-pédagogiques (CMP) sont insuffisants en nombre et en maillage du territoire national. La pédopsychiatrie n’a pas toute sa place. On constate aussi la disparition de certains centres d’écoute et de maisons d’adolescents ou de lieux parents-enfant. Il arrive même fréquemment que des services judiciaires ne puissent intervenir que six mois après qu’ils soient saisis par les juges pour enfants. La question des moyens humains, matériels et financiers est posée.

Un autre problème concerne les dispositifs éducatifs et préventifs qui s’empilent les uns sur les autres et la multiplication des instances de concertation dont les logiques différentes rendent difficiles les missions des acteurs éducatifs et sociaux. Ces instances sont parfois voire trop souvent construites en fonction des symptômes présentés par les jeunes (risque de délinquance, absentéisme…) et non dans une démarche globale d’accompagnement à la personne et de travail en réseau.

De même, la trop grande multiplicité des intervenants auprès d’une famille peut morceler l’aide qui lui est apportée avec le risque que les problèmes de fond ne soient pas traités. La mise en place de procédures de coordination, le travail pluri-institutionnel et pluridisciplinaire sont nécessaires mais dans un souci d’aide, d’appui et de cohérence.

Prestations nouvelles

Le CSTS tient à ce que la future loi prévoit un cadre législatif souple d'organisation de mesures de protection de l’enfance pour permettre la mise en œuvre de pratiques innovantes et développer la palette de pratiques intermédiaires : notamment l’accueil à la journée, l’accueil séquentiel de nuits ou de week-end, des prises en charge multiples alliant le soin, le soutien éducatif, l’accompagnement social, etc.

Les référentiels et guide de “bonne pratique”

Il semble que beaucoup de propositions actuellement faites au ministre, souhaitent développer et diffuser des référentiels afin de donner des repères communs. Dans ce sens, certains membres du CSTS souhaitent également que les décisions administratives et judiciaires fassent l’objet d’évaluations et de référentiels établis nationalement et dans les départements. Le CSTS approuve l’objectif d’une capacité de travail pluridisciplinaire et pluri-professionnel qui permette aux acteurs personnes de travailler ensemble

Néanmoins, s’il estime important qu’il y ait des règles du jeu contrôlées, partagées, définies, il souhaite de la souplesse nécessaire à l’éducation à la protection. Il parait essentiel au CSTS de laisser la possibilité de jeu pour les acteurs sur le terrain, de respecter leurs responsabilités et de leur accorder toute confiance. Il souhaite la vigilance pour que si référentiels il y a, ils ne deviennent pas du prêt à penser, ne risquent pas de « formater », n’enferment pas les acteurs dans leurs compétences individuelles, ne donnent pas un sentiment de précaution poussé au maximum et qui interdit l’action. D’ailleurs, certains membres du CSTS rappellent que le travail socio-éducatif consiste essentiellement à adapter les pratiques aux situations et qu’il n’existe pas de bonne pratique à définir et promulguer.

C’est l’intérêt de l’enfant qui doit guider l’action, non pas l’enfant au sens générique, mais à chaque fois un enfant, dans sa singularité. C’est une affaire de valeurs, de philosophie sociale avant tout. Deux commissions actuelles de travail du CSTS ont évoqué dans leurs rapports, l’importance pour les acteurs de l’action sociale d’accepter de prendre des risques partagés dans toute éducation permettant l’épanouissement de l’enfant et défendent la notion de compétences collectives.

L’évaluation

Le travailleur social co-réalise avec les intéressés une évaluation des besoins et compétences ; ils élaborent un plan d’action par rapport à des effets projetés et attendus. L’évaluation en travail social est d’abord interne à la relation. La pratique des travailleurs sociaux a ensuite montré l’intérêt de révisions collectives (entre professionnels) de la première évaluation et de l’intervention effectuée. L’évaluation a pris une deuxième acception, externe à la relation d’aide.

Une évaluation permanente du dispositif de protection de l'enfance nécessite effectivement des bilans à chaque étape qui permettent de remettre en question, quand c'est nécessaire, les décisions prises pour l’enfant ; également, de libérer la parole des professionnels, de donner à leur capacité d'expertise toute sa force ; enfin de rendre plus lisibles les pratiques. Bref l’évaluation inhérente aux pratiques est indispensable car elle répond à un triple besoin : connaître si une action a ou non des effets véritables, connaître si l’effet est positif, enfin permettre une régulation de cette action. Elle permet de vérifier la pertinence et le sens de l’action. Il ne faudrait pas cependant écarter le fait que l’évaluation des pratiques à finalité psycho-socio-éducative, résulte de questions théoriques non élucidées, ne peut jamais bénéficier d'une garantie scientifique suffisante et touche à la nature et aux enjeux du travail. Les professionnels ne sont pas à cantonner dans l’évaluation de leurs pratiques et il doit leur être permis un signalement des dispositifs de protection et fonctionnements institutionnels défaillants (à leur institution, au Défenseur des enfants ou au Médiateur de la République)
Par évaluation des acteurs et des politiques qui est probablement entendu dans l’acception « étude, évaluation des effets obtenus », le CSTS a constaté qu’il manquait beaucoup d’études scientifiques et notamment longitudinales. Quels sont les effets de la prévention ? Quels sont les effets des mesures de protection de l’enfance sur la longue durée ? Il appelle à la nécessité des études, des recherches et des recherches-actions. L'État doit en effet faire un effort de vigilance et se doter d'un outil de pilotage et d'évaluation du dispositif de protection de l'enfance. Il est regrettable qu’aucun bilan national relatif au système de protection de l’enfance n’ait été fait. De même, un bilan départemental permettrait une adaptation permanente des dispositifs départementaux ainsi que l'encouragement d'initiatives. Cependant, le choix d'une démarche et d'outils d'évaluation appropriés est une question de première importance car leur non-pertinence aurait un effet pervers très dommageable. Cela suppose de ne pas éluder les conditions sociales de leur prescription, de leur concrétisation et de leur évaluation.

La formation

Les établissements de formation de travailleurs sociaux sont très sensibles aux questions de la protection de l’enfance et des interventions auprès des familles. Ils ont la volonté de mettre en place des sensibilisations, des actions de formation adaptées à ce qu’est aujourd’hui la transformation de la protection de l’enfance, que ce soit au niveau V, au niveau IV, et particulièrement au niveau III. Des formations pluriprofessionnelles thématiques sont dispensées sur la protection de l’enfance, la question des pratiques est également traitée à travers des ateliers d’analyse de pratiques. En effet, une pratique ne saurait être réduite à l’observable et ne peut se comprendre et s'interpréter que par l’analyse… Enfin, les liens entre le terrain (ou les sites de stage) et les établissements de formation sont posés. Il parait donc nécessaire au CSTS de conforter tous ces points.

Mais plus largement, cela concerne aussi les personnes qui sont en contact de l’enfance : la PMI, l’Éducation nationale, Jeunesse et sports, la Justice, la pédopsychiatrie, etc. Aussi, le CSTS évoque des formations continues communes avec ces professionnels afin d’avoir une approche globale et humaniste de l’enfant ou de l’adolescent. Pour les services exerçant dans le cadre de la protection de l’enfance, afin de pouvoir effectuer
un réel travail clinique, il parait nécessaire d’offrir des formations comprenant notamment des apports en psychologie, psychanalyse, sociologie… et également des supervisions. En outre, là aussi, il est important d’instituer des espaces intra et inter-institutionnels de réflexion et de débat pour les professionnels dont les interventions concourent à la protection de l'enfance.

Comme les pratiques doivent s’adapter au plus près de la situation de chaque mineur, de son évolution, de celle de son contexte de vie, de la personnalité des personnes et familles suivies, leurs désirs, leurs potentialités, leurs problèmes, leurs défenses…, il est impossible d’identifier des pratiques qui conviennent à toutes les situations. Les pratiques en matière de protection de l’enfance sont multiples, hétérogènes dans leur niveau d'abstraction et dans le registre qu'elles mobilisent. Il y a donc à faire un travail de clarification du langage à partir de concepts qui ont des portées différentes auprès des différents acteurs, un travail de référence au contenu juridique des mots qui évolue au fil des lois et des jurisprudences, un travail d’armement des acteurs par rapport à des situations souvent complexes et difficiles, et un travail d’intégration des outils nécessaires à l’évaluation. Ceci est à construire dans une dynamique puisqu’une société évolue et les demandes changent (rappelons ici, le danger de tout référentiel qui figerait) et cela nécessite des moyens budgétaires alloués.

III – LA PRÉVENTION

Le CSTS considère la prévention nécessaire et la pense dans une approche globale en fonction des causes. En effet, la maltraitance et la délinquance se traitent d’abord à la racine des problèmes sociaux. La priorité est donc à l’anticipation et à la prévention qui supposent de repenser les politiques publiques et les moyens mis en oeuvre dans une logique principalement et prioritairement éducative. Le CSTS distingue ici la prévention en général de la prévention spécialisée, une des missions du Conseil général qui a d’ailleurs un objectif plus large que celui de prévenir la délinquance juvénile.

La première protection de l’enfance est la protection contre la pauvreté et la nécessité d’un logement. Rappelons qu’un million d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté en France selon les critères français, deux millions selon les critères européens. Les questions économiques de la pauvreté, du chômage, du mal-logement et de leurs incidences sur le développement de l’enfant paraissent absolument essentielles à souligner. La meilleure protection et prévention passe par la réduction des inégalités sociales. De plus, au volet économique s’ajoute un aspect social grave qui concerne la déstructuration des familles dans les séparations qui ont des répercussions sur les enfants. La prévention passe donc aussi par le soutien durant et après ces moments. Enfin la prévention nécessite le soutien aux nombreuses actions d’éducation populaire qui œuvrent auprès des enfants.

En outre, la réduction des moyens financiers au niveau de l’ensemble des acteurs chargés de la protection de l’enfance, de l’ensemble des forces vives des quartiers, etc. et les sous-effectifs qu’elle engendre, contribue à appauvrir ce qui est fondamental dans le champ de la protection de l’enfance et favorise une entrée directe essentiellement sous l’angle du danger physique et immédiat. Il est regrettable que la logique économique l’emporte trop souvent au point de détériorer la possibilité et la qualité de l’action des institutions, des associations et de leurs acteurs.

Le CSTS souhaite le renforcement des services existants dont le rôle est essentiel et notamment :

- La PMI, les consultations de soins psychologiques pour enfants et adultes permettant le soutien mais aussi la constatation des carences affectives ou psychiques
- Les maisons des parents, les réseaux et structures d’accompagnement à la parentalité et à la médiation comme outils d’éducation
- La médecine scolaire et ses moyens de dépistage.
- Les Réseaux d'Aide Spécialisés aux Élèves en Difficulté (RASED)
- Les CHRS qui accompagnent les enfants dans une reconstruction psychique suivant leurs besoins et les accueillent comme des sujets à part entière,
- Les Hôpitaux et maisons de maternologie et de naissance qui tout en soignant, repèrent des signes, des comportements
- La Protection judiciaire de la jeunesse, en maintenant ses actions dans le champ de l'assistance éducative.
- Les structures d’accueil et de soins à destination des mineurs handicapés et/ou présentant des troubles psychiques, pour garantir le droit à l’éducation et aux soins de ces enfants et ces jeunes.
- Les « maisons vertes », les ludothèques,
- Les comités d’éducation à la santé et la citoyenneté,
- Les caisses de sécurité sociale, pour apporter plus de soins sociaux et psychologiques en cas de carence auprès des enfants, vis-à-vis des parents et des enfants,
- La prévention spécialisée en tant que pratique éducative dans le milieu de vie.

Parmi la diversification nécessaire des réponses, on pourrait en citer d’autres à promouvoir, et notamment des actions de soutien et de prise en charge qui relèvent de la solidarité nationale, comme par exemple celles concernant les jeunes étrangers isolés.

Le CSTS estime qu’il faut affirmer et renforcer le rôle et la place des parents au sein des structures et services existants afin de mieux les accueillir et de leur donner toute leur place. Il est également essentiel de pouvoir mener des accompagnements aussi longtemps que nécessaire, avec si possible les mêmes interlocuteurs pour éviter les ruptures multiples avec les intervenants. Car être obligé de s’arrêter en cours d’intervention, c’est mettre en péril la famille et annihiler l’action antérieurement commencée. Plus généralement, il rappelle de partir des compétences des familles et de leur environnement familial (famille élargie, voisinage, etc.), d’offrir des possibilités de liens plus nombreux et plus larges, afin de lutter contre l’individualisme forcené et les effets enfermant de l’isolement.

Concernant les enfants, outre les conditions de vie décentes et le soutien éducatif, l’outil juridique majeur est sans doute la convention internationale des droits de l’enfant qui vise à rendre l’enfant acteur de sa propre protection et fait en sorte qu’à côté de ces droits, l’enfant se voit reconnu le droit d’exercer des libertés directes lui-même. Les droits de l’enfant vont-ils devenir opposables dans les textes français, c’est à dire qu’on y ferait référence pour obtenir des condamnations lorsque ces droits ne sont pas assurés à l’égard des enfants ?


Aux yeux du CSTS, il serait pertinent que le projet de loi concernant la protection de l’enfance, prenne en compte l’ensemble des points évoqués dans ce texte.


Mardi 21 Mars 2006




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