Association nationale des assistants de service social

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Prévention de la délinquance : Les travailleurs sociaux à nouveau mis à contribution pour partager les informations concernant les jeunes et leurs familles


Si la prévention de la délinquance entre dans le champ de la cohésion sociale, ce n'est pas pour autant la porte d'entrée des interventions des assistants de service social qui, faut-il encore le rappeler, sont centrés sur l'aide aux personnes et aux familles, leur insertion et leur protection.

En effet, nous assistons à un rapprochement et une confusion entre l’aide aux personnes, mission première des travailleurs sociaux, pouvant parfois amener à demander leur protection, et leur repérage ou surveillance aboutissant, d’une manière de plus en plus contrainte, à leur « accompagnement » dans le cadre d’un contrat et d’un dispositif.

Les politiques de prévention de la délinquance, depuis 2007, viennent ainsi concrétiser une idéologie sécuritaire qui consiste à penser l’action sociale envers les familles et les jeunes sous l’angle du risque potentiel de passage à l’acte délinquant. Or, la délinquance n’est qu’une conséquence possible des problématiques sociales qui touchent notre société et sur lesquelles les travailleurs sociaux agissent. Ne serait-ce pas le bon moment pour se dire que ce type de politiques et de manière de concevoir l’action sociale envers les familles a atteint ses limites ?



Prévention de la délinquance : Les travailleurs sociaux à nouveau mis à contribution pour partager les informations concernant les jeunes et leurs familles
1) Visiblement non, puisqu’aujourd'hui une nouvelle charte de partage d'informations dans le cadre du comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD) est en cours de validation et s'inscrit dans une volonté réaffirmée de mobiliser tous les acteurs de la sécurité mais aussi les travailleurs sociaux. Cela conduit l'ANAS à rappeler les points suivants :
 
- La stratégie de prévention de la délinquance 2013 – 2017[1] n'est pas véritablement nouvelle. Elle se substitue au plan national de prévention de la délinquance et d'aide aux victimes des années précédentes. Nous sommes là dans la continuité d'une politique de prévention qui reste, pour une bonne part, inscrite dans une logique de repérage des jeunes avant qu'ils aient commis des actes délictueux.
 
- Certes les travailleurs sociaux peuvent intervenir dans ce champ, cela notamment grâce au travail des éducateurs spécialisés de prévention[2]. Mais faut-il pour autant mobiliser tous les travailleurs sociaux sur cette question alors que leurs efforts sont déjà centrés sur la lutte contre les exclusions, l'insertion sociale et professionnelle, la protection de l'enfance et des adultes vulnérables, la lutte contre les inégalités et le soutien des personnes et familles les plus fragiles, quels que soient leurs origines leur âge ou leur statut ? Cette politique de prévention de la délinquance est une politique publique à part entière qui, même si elle cherche à intégrer les politiques d'action sociale, se surajoute à celles déjà existantes. La coordination devrait d'abord commencer entre les différents ministères qui, chacun de leur coté, impriment leurs choix et décisions sans pour autant tenir compte de ce qui est fait par ailleurs.
 
- Aujourd'hui il s'agit d'autre chose : les assistants sociaux, notamment ceux qui interviennent au sein des conseils généraux, seront très certainement invités à prendre place au sein d'instances dans lesquelles des situations individuelles seront abordées[3]. Est-ce là véritablement la bonne approche ? N'est-ce pas plutôt une illusion de croire que tous les acteurs, en partageant des informations non plus secrètes mais cette fois-ci considérées comme confidentielles, disposeront des moyens d'agir plus efficacement ? 
 
 
 

2) Une charte de partage d'informations est à nouveau en cours de validation tout comme un nouveau logiciel de traitement des informations qui attend le feu vert de la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) :
 
- Cette charte n'a pas été communiquée aux associations professionnelles comme la nôtre ni aux organisations syndicales représentatives des travailleurs sociaux et de l'ensemble des salariés. Certes le Conseil Supérieur du Travail Social (CSTS) intervient dans son élaboration, mais cela ne veut pas dire que les professionnels dans leur ensemble s'y retrouvent tant la diversité des intervenants en travail social est importante.
 
- Faut-il encore rappeler qu'une charte est un document qui ne se substituera jamais à la loi ? Elle peut réaffirmer la nécessité de respecter le secret professionnel, ce qui est une bonne chose, mais elle ne peut déterminer ce qui en relève ou pas. Son application posera certes des limites et visera à éviter des excès mais elle ne pourra pas empêcher des dérives et des interprétations. 
 
Par ailleurs, il y a un cadeau empoisonné ou du moins empoisonnant qui va avec. Cette charte, comme pour la précédente, distingue les informations confidentielles qui peuvent être partagées de celles qui relèvent du secret professionnel. Comment faire la différence entre ces 2 types d'informations ? Quelle sera la ligne de partage ? Ce serait au professionnel soumis au secret de le déterminer. Il est donc positionné comme « auto-décideur » de ce qui est une information à caractère secret ou pas, omettant la loi et la jurisprudence en la matière. Les travailleurs sociaux qui participeront à ces instances devront faire preuve d'une grande prudence afin de conserver des pratiques garantissant les droits des personnes en matière de respect de leur vie privée et des informations en relevant. Cette question avait déjà été déjà posée lors de l'élaboration d'un précédent projet sur lequel l'ANAS s'était prononcée en juillet 2010 avec de fortes réserves[4].
                                                       
 
- Nous étudierons avec attention ce document dès qu'il sera publié. Nous proposerons, à partir de celui-ci, un positionnement et des outils permettant aux travailleurs sociaux de s'assurer qu'ils respectent bien le cadre légal mais aussi la déontologie de notre profession.
 
 
 
 
En conclusion il semble utile de rappeler une nouvelle fois que le secret professionnel n'est pas un cadre d'intervention à géométrie variable : il ne se négocie pas car il est inscrit dans la loi. Il vise à la protection de la vie privée et à l'établissement d'une relation de confiance entre la personne aidée et l'assistant de service social.
 
Nous insistons également sur la nécessité que les personnes soient informées en amont et à la suite de toute concertation les concernant. Il semble bien, une nouvelle fois, que la personne et notamment le jeune au centre de toutes les préoccupations soit une nouvelle fois écartée de tout le processus de coordination et de concertation. Son représentant légal, s'il est mineur, et lui même s'il est majeur ont le droit d'être associés aux décisions le concernant. Dès lors qu'aucun acte délictueux n'est commis et que la justice n'a pas été saisie, on ne peut lui imposer une quelconque intervention. C'est pourquoi nous en appelons à la vigilance des travailleurs sociaux tant ce sujet est sensible et peut les mettre en grande difficulté.
 
 
 
 
Anne-Brigitte COSSON,
Présidente de l’ANAS


[1] Document à télécharger sur le site du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance http://www.prevention-delinquance.interieur.gouv.fr/
 
[2] Contrairement à ce qui semble admis la prévention spécialisée ne lutte pas directement contre la délinquance juvénile, mais elle y contribue. La délinquance n'est qu'une voie possible de la marginalisation des jeunes
 
[3] « ces groupes de travail et d’échanges opérationnels ont vocation à associer également les responsables des centres sociaux, le chef de projet politique de la ville, le coordonnateur CLSPD, les partenaires engagés dans l'aide aux victimes et dans la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences intra familiales, les bailleurs sociaux, les transporteurs publics et tout opérateur utile. La composition de chaque groupe dépend des questions abordées et surtout des programmes concernés. Ces groupes sont pilotés par une personne désignée au sein du CLSPD. Le caractère opérationnel de ces groupes repose sur l’échange d’informations relatives à des situations précises, y compris confidentielles. Les échanges d’informations se font dans le respect du cadre légal et des règles déontologiques propres à chaque profession concernée. La charte déontologique type pour l’échange d’informations dans le cadre du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance en délimite les modalités »
 

Jeudi 22 Mai 2014




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