Association nationale des assistants de service social

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JNE 2017 : Retour en texte et en images


Retour sur la journée nationale d'étude du 13 octobre 2017, "Numérique et pratiques professionnelles".



Avec près de 300 personnes présentes, la journée nationale d'étude de l'ANAS, "Numérique et pratiques professionnelles" a été un véritable succès. Des interventions de grande qualité ont alterné avec les échanges avec la salle dans une ambiance studieuse et constructive. Retour sur cette journée avec le discours d'ouverture du président de l'ANAS, une synthèse de Didier Dubasque et quelques images des temps forts de cette journée.

Le discours d'ouverture du président de l'ANAS, Joran LE GALL

Bonjour à toutes et à tous, 

Je suis très heureux de pouvoir partager avec vous ces nouvelles journées d’étude de l’ANAS qui prennent cette année une forme un peu particulière. 

En effet, historiquement, les journées nationales d’étude étaient le fruit d’un travail de préparation de deux ans, en alternance avec les journées d’étude du travail. Il y a 3 ans, nous avons décidé de suspendre l’organisation de ces journées pour nous recentrer sur la vie de l’association, qui je vous le rappelle, est composée quasi uniquement de bénévoles.

Nous nous sommes rapidement rendus compte que le thème du numérique et des pratiques professionnelles se révélait récurrent dans nos échanges et dans les sollicitations reçues par l’association, à la fois auprès des sections locales que des commissions et des groupes.
Il nous est donc apparu évident d’organiser un évènement sur cette question. 

Cette décision ayant été prise il y a 9 mois, vous pouvez facilement imaginer que ce projet a représenté, dès sa genèse, un défi, tant nous n’avions pas l’habitude de travailler dans des délais aussi brefs. Pour celles et ceux qui y sont habitué·e·s, vous verrez donc que nous avons décidé d’un format plus en sobriété, qui nous permet néanmoins de vous proposer un tarif  accessible à tous, y compris aux étudiant·e·s. 
Nous faisons donc véritablement le choix d’une organisation simplifiée, pour mieux nous recentrer sur l’essentiel.

Pour revenir au sujet qui nous réunit aujourd’hui, je pense que nous pouvons affirmer que l’informatisation intéresse l’association depuis plusieurs années. Nous y avons d’ailleurs consacré un numéro de la Revue Française de Service Social, paru en mars 2017, que j’ai d’ailleurs eu la chance de coordonner.

L’informatisation de l’action sociale est en effet un mouvement actuel, auquel de nombreuses institutions sont confrontées, non sans interroger les professionnel·le·s, notamment les assistants et assistantes de service social.

Depuis les années 90, les usages de l’informatique se sont démocratisés et le recours à cet outil s’est largement multiplié, à tel point que le numérique est devenu incontournable dans le quotidien. Dans de nombreux secteurs, l’informatique a probablement permis des progrès pour franchir un pas quantitatif et qualitatif, en offrant un gain de temps conséquent par l’automatisation de tâches répétitives.

Mais le travail social s’est, quant à lui, longtemps tenu à distance de cet outil. En effet, dans le cœur de métier qu'est la relation d'aide, l'outil informatique ne semble pas indispensable. Néanmoins, l’informatisation traverse peu à peu le travail social par deux moyens : la dématérialisation de l’administration et l’informatisation des dossiers sociaux.

Sans nul doute, les services administratifs des grandes institutions de sécurité sociale qui ont développé la dématérialisation de leurs dossiers ne pourraient aujourd’hui plus fonctionner sans informatique pour instruire et suivre les demandes de prestations. Les personnes qui en bénéficient sont ainsi régulièrement incitées - voire même contraintes - à utiliser les espaces internet qui leur sont destinés. Citons par exemple, les inscriptions en tant que demandeur d’emploi qui ne peuvent s’effectuer qu’en ligne depuis le 1er mars 2016.
Cela interroge donc la place de celles et ceux qui en sont privés d’accès ou d’usage.

Parallèlement, certaines institutions d’aide sociale éprouvent peu à peu le besoin d'informatiser les dossiers sociaux. Statistiques, continuité de service, partage d'informations pour le travail en équipe... nombreuses sont les raisons avancées par les institutions pour justifier le recours à l'informatisation de l’action sociale. Pour autant, cette tendance reste pour le moment encore inégale selon les institutions, les territoires ou les secteurs d'intervention. De plus, les assistants de service social sont relativement peu formés au fonctionnement de ces outils et au rapport à l’informatique en général.

Dans l’ensemble, on constate que les projets d’informatisation sont majoritairement initiés par les institutions employeurs plutôt que par les travailleuses et travailleurs sociaux ou les personnes accompagnées. Ces projets dépassent largement l’informatisation en tant que tel et viennent toucher bien d’autres aspects de l’activité. Qu’en est-il alors de leur participation dans ces projets et de la prise en compte de leurs besoins ? Et surtout, comment garantir la sécurité des données personnelles et une utilisation adaptée à l’intérêt des personnes ?

Le processus d’informatisation des services sociaux a indéniablement tendance à provoquer la diffusion de l’information plutôt que sa protection. Les questions de respect de la vie privée traversent aujourd’hui l’ensemble du monde numérique. Nos habitudes de vie en disent beaucoup sur nous-mêmes et il semble donc légitime d’avoir le souhait de les protéger de la sphère publique. Il devient donc impératif de protéger ses informations personnelles. 

Notre profession d’Assistant·e de Service Social est également porteuse d’une culture du secret qu’elle se doit de garantir aux personnes. Malgré cela, peu d’outils sont réellement mis en œuvre pour sécuriser les échanges. Le chiffrement des e-mails, par exemple, bien que très peu coûteux, facilement accessible et recommandé par la CNIL, reste pourtant bien marginal, quand il n’est pas l’exception. Le chiffrement est pourtant particulièrement adapté aux échanges entre professionnels et permet d’assurer aux personnes les garanties de confidentialité exigées par la loi.

Et donc, pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées précédemment, les professionnel·le·s du secteur social se trouvent systématiquement inquiet·e·s dès lors qu’il est question d’un quelconque projet d’informatisation dans leur service. L’informatisation peut en effet donner au professionnel·le l’impression de perdre la maîtrise du champ de diffusion de l’information, et peut l’amener à s’interroger sur le devenir de l’information dont il était initialement censé garantir le secret. Ainsi, au cours des dernières années, nombre de projets d’informatisation des services sociaux ont fait l’objet de plaintes auprès de la CNIL.

Face à ces constats, de nombreuses questions restent en suspens. L’objectif de cette journée de rencontre n’a pas pour seule ambition d’apporter les « bonnes réponses » mais surtout de participer à la réflexion des professionnel·le·s. 
Nous sommes sûrs que la richesse et la diversité des interventions à venir va contribuer à la réflexion, tout autant que la multitude des rencontres et des échanges permis par cette journée d’étude.

C’est pourquoi, au nom de l’ANAS je vous remercie de votre présence et de votre contribution à cette réflexion collective.

Je remercie aussi, et surtout devrais-je dire, Anne-Brigitte COSSON, ma prédécesseure, qui - permettez moi de le dire - a par ailleurs été mon ancienne formatrice, Sandrine DUMAINE ancienne secrétaire nationale, et également Hélène LITSINGOU, notre secrétaire salariée, ainsi que l’ensemble des membres du Conseil d’Administration pour avoir patiemment et minutieusement coordonné ces journées. Je remercie évidemment aussi les bénévoles de l’ANAS qui offrent leur temps et leurs compétences au service de l’association. Je remercie également l’ensemble des intervenants qui ont accepté de venir partager avec nous leurs connaissances, leurs expériences et leurs réflexions. Enfin, je remercie chaleureusement Didier DUBASQUE qui nous fait le plaisir d’animer cette journée. Sa réflexion constante sur le sujet ainsi que sa nomination récente à la tête du groupe de travail sur le numérique au sein du Haut Conseil du Travail Social en font un interlocuteur pertinent et précieux à qui je cède à présent la parole.



 

Intervention d'Adeline VALERY et de Wafae EL BOUJEMAOUI, respectivement juriste et cheffe du service des questions sociales et RH à la Direction de la conformité de la CNIL

Intervention de Pierre DELOR, Docteur en droit, et président du comité éthique du GEPSO (groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux)

Intervention de Vincent MEYER, Sociologue, Professeur des universités en sciences de l'information et de la communication, Université Nice Sophia Antipolis, Université Côte d'Azur

Table ronde animée par Anne-Brigitte COSSON avec :
- Carole VEZARD, Conseillère en Politiques Sociale et Familiale, CNAF
- Carole LE FLOCH et Thierry RENAUT, Représentants du Conseil National des Personnes Accompagnées
- Une Assistante de Service Social dans un Organisme de Sécurité Sociale

Intervention de Bernard-Marie DUPONT, Avocat au barreau d’ARRAS, Docteur en médecine


Synthèse de la journée d'étude de l'ANAS « numérique et pratiques professionnelles de l'assistant de service social » Paris 13 octobre 2017
par Didier Dubasque
 
Cette courte synthèse de la journée d'étude de l'ANAS qui s'est tenue le 13 octobre 2017 à Paris est un résumé d'un texte plus conséquent qui fera l'objet d'une communication dans un prochain numéro de la revue française de service social. Il a été transmis aux participants qui en ont eu la primeur. Voici, repris de façon chronologique, l'essentiel des interventions qui ne reflètent que très partiellement la richesse des échanges, notamment avec le public composé de travailleurs sociaux (dans leur grande majorité des assistants de service social) de terrain mais aussi d'encadrement.
 
La Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) nous a rappelé les principes essentiels qui régissent l'utilisation des fichiers en insistant sur la responsabilité des acteurs qui les mettent en œuvre et les utilisent. Wafaé El Boujemaoui et Adeline Valery nous ont aussi présenté le pack de conformité dédié à l'action sociale et médico-sociale avec les 3 autorisations uniques. Elles ont conclu leur exposé en nous alertant sur le nouveau règlement général de protection des données issues de négociations au sein de la commission européenne. Cette nouvelle règlementation entrera en vigueur le 25 mai 2018 et verra le renforcement des droits actuels ainsi que l'apparition de nouveaux que sont le droit à la portabilité et celui de la limitation du traitement plus favorable aux citoyens et aux usagers des services publics.
 
Pierre Delor, professeur de Droit nous a fort justement fait prendre conscience que le secret professionnel qui vise à protéger l'individu, vise aussi à protéger l'ordre public. Il nous a proposé de regarder les 3 situations dans lesquelles nous nous trouvons : celles qui nous obligent à nous taire, celles qui nous autorisent à parler et enfin celles qui nous y obligent.  À la fin de son intervention limitée par le temps, il nous a proposé une grille de lecture éthique tout à fait intéressante et opérante dans notre quotidien professionnel.
 
Vincent Meyer, sociologue, nous a véritablement « emporté » vers un avenir numérique qui ne peut que nous laisser songeur.   Il nous a donné à voir la société numérique de demain. Mais il faut garder raison dit-il : « Cette modernisation irrésistible » est soutenue par un discours euphorisant et idéologique sans suffisamment de recul ni analyse critique.  Il faut, pour lui, que les travailleurs sociaux et médico-sociaux se saisissent de cette question avant de la subir.  Vincent Meyer nous a parlé d'e-citoyenneté, d'internet des objets, mais aussi des robots et de la place qu'ils vont prendre. Il nous a aussi alerté sur les effets des algorithmes, de cette « siliconisation du monde » et de « l’irrésistible expansion du libéralisme numérique » qui l'accompagne. Il ne nous parle pas de « fracture numérique » mais préfère le terme de « fossé numérique » qui reste une inégalité des citoyens face à la technique, à la connaissance et la possibilité de maîtrise des outils. Vincent Meyer nous rappelle que ces outils sont en constante évolution. Ils nous obligent à être dans un apprentissage permanent.
 
Une table ronde animée par Anne Brigitte Cosson (ancienne présidente de l'ANAS), a permis de donner place à des échanges intéressants entre des personnes accompagnées, la Caisse Nationale des Allocations Familiales, ainsi qu’une assistante sociale « de terrain » qui intervient dans une institution de protection sociale. Thierry Renaut du Conseil National des personnes accueillies et/ou accompagnées (CNPA) nous a rappelé « que les personnes à la rue n'ont pas de smartphone ».  En fait, il lui paraît essentiel avec Carole Le Floch « de ne pas entrer dans la vie des personnes avec des questionnaires ». Carole Vezard pour la CNAF nous a, de son coté, expliqué pourquoi il a fallu mettre en place un logiciel qui quantifie et identifie les interventions des travailleurs sociaux des caisses d'allocations familiales. L'enjeu était important : il s'agissait de savoir s'il fallait maintenir ou pas ces travailleurs sociaux dans la branche famille. L'intervention de l’assistante sociale « de terrain » a de son coté présenté la structuration du logiciel qu'elle est amenée à renseigner avec ses collègues. Construit sur trois niveaux, il faut en renseigner le premier pour pouvoir accéder au second, puis une fois le second niveau rempli ; le troisième devient accessible. Certes, il n’est pas obligatoire de tout renseigner mais pour autant, avons-nous besoin d'autant d'informations à noter pour un pilotage adapté ?
 
Bernard Marie Dupont, avocat au barreau d'Arras et Docteur en médecine apportera son témoignage et ses réflexions empreintes d'humanisme. Il défend les victimes de soins inadaptés. Il nous a parlé de l'expérience glaçante et dramatique qu'il a vécu d'une patiente ancienne travailleuse social victime d'un burn-out qui a dégénéré. Ce qui inquiète notre conférencier est au final une question éthique : l'usage inconsidéré des outils numériques ne risque-t-il pas « d'éradiquer » ceux qui en sont exclus ? Il n'y aurait plus de place pour eux finalement. Bernard Marie Dupont terminera son propos par un plaidoyer pour un retour de l'humain dans le travail. A l'heure de l'optimisation à outrance, recentrons-nous sur l'autre en le considérant comme un autre soi-même.
 
Didier Dubasque présentera avant de conclure le nouveau groupe de réflexion sur l'usage du numérique dans le travail social qu'il anime au sein du Haut Conseil du Travail Social : Cette mission est encadrée par un mandat précis qui rappelle que la présence massive du numérique dans tous les pans de la société et à toutes les échelles de la vie s’impose à tous aujourd’hui. Le groupe a identifié 3 thèmes à travailler prioritairement : les plates-formes numériques permettant l'accès aux droits, la place spécifique du travailleur social au regard de la fracture numérique, et la gestion des messageries, ce 3ème sujet concerne tous les métiers et ne se limite pas au travail social. Le groupe de travail souhaite s'appuyer sur les expériences de terrain.
 
En conclusion nous savons que nous serons demain des « hyper-connectés » grâce entre autres à la réalité « virtuelle » et la réalité « augmentée ». L'usage immodérée des technologies numériques provoquent de nouvelles addictions et des manques. Un manque majeur est peut-être en train d’apparaitre : le manque d'imagination puisque désormais les algorithmes « pensent » à notre place. Ils prédisent ce dont nous avons besoin. Ils nous apprennent aussi à devenir dépendants. De quelle liberté avons-nous besoin au final ? D'abord celle de penser et d'agir avec les personnes que nous accompagnons. De tous temps les professionnels de l'action sociale et notamment les assistants sociaux se sont adaptés. Ils ont su être créatifs pour répondre aux défis qu'ils rencontraient. Nous savons donner sens à notre travail et savons créer nos espaces de liberté. Pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui et demain ? Gardons en tête ce que nous a dit l'un des intervenants : « L'humain d'abord », le reste n'est qu'outil qu'il nous faudra maîtriser et utiliser de façon raisonnée. Et même si cet outil a tendance à prendre beaucoup de place, rappelons-nous que nous avons choisi nos professions pour ce qu'elles nous apportent tous : du lien, du soin et de l'humain.

Dimanche 15 Octobre 2017




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